Le destin d’un créateur politiquement très incorrect vaut au roman qu’Edgar Hilsenrath écrivit il y a quarante ans, Le nazi et le barbier, de nous être arrivé précédé d’une aventure éditoriale peu commune. L’auteur, survivant d’un ghetto en Ukraine, a commencé à écrire après la guerre mais son premier roman, Nacht, n’a connu qu’une brève existence dans les librairies allemandes. En revanche, l’éditeur américain qui l’avait mis à son catalogue en 1966 a demandé un autre livre à Hilsenrath. Celui-ci rédige alors, en allemand, Der Nazi und der Friseur, dont la traduction sort aux Etats-Unis en 1971. Et en France trois ans plus tard – mais, semble-t-il, dans une version incomplète. En Allemagne, une soixantaine d’éditeurs le refusent. Un des traducteurs résume les raisons du blocage: «Pas comme ça, Monsieur Hilsenrath, pas comme ça! Ce n’est pas comme ça qu’on doit parler de l’Holocauste!» On ne rit pas avec ce sujet. Surtout si on est juif…
Heureusement, un livre puissant finit toujours par trouver ses lecteurs. Après bien des années, le talent d’Edgar Hilsenrath reconnu jusque dans son pays – depuis la fin des années 80, il est couvert de prix littéraires –, voici une traduction intégrale qui secoue par l’humour dont elle déborde.
Evacuons tout de suite la barrière entre bien-pensant et mal-pensant. Entre bon et mauvais goût. Le romancier ne s’en soucie pas, pourquoi devrions-nous l’édifier dans des pages où elle ne se trouve pas? La vie de Max Schulz, d’origine aryenne pure souche quel que soit son père parmi cinq possibilités, devenu meurtrier de masse avant de prendre l’identité d’un Juif ayant échappé à l’Holocauste, relève d’une amoralité tranquille. Rien ne vaut la survie. Et celle-ci justifie tout, y compris les pires horreurs.
L’horreur commence tôt pour le petit Max. Battu et violé par son beau-père, hanté par les coups de bâtons et les sévices en tous genres, il ne trouve la paix que dans la famille d’Itzig Finkelstein. Son ami a le même âge que lui mais il est juif et le salon de coiffure de son père est très fréquenté, au contraire de celui que tient le beau-père de Max.
Au physique, tout oppose Max et Itzig. Le premier est une caricature de Juif. Le second, d’un Aryen. Les apparences trompeuses n’empêchent pas chacun de suivre son destin. Max, d’être fasciné par un discours d’Hitler qui constitue un grand moment du roman. Itzig, d’être rejeté avec sa famille et d’être déporté vers les camps de la mort au moment où Max, qui a revêtu l’uniforme SS, est devenu un assassin en série.
Comment Max, quand la guerre s’achève, échappe à la mort pour tomber entre les mains d’une vieille folle. Comment il devient, en compagnie d’une comtesse grande et blonde, un gros bonnet du marché noir. Comment il décide de se faire passer pour un Juif rescapé, de se faire tatouer un numéro sur le poignet et d’émigrer en Palestine. Comment finit cette histoire. Autant d’épisodes qu’il restera à découvrir en lisant le roman d’Edgar Hilsenrath.
C’est une expérience inhabituelle. Elle oblige à se tenir tout au bord de la folie, à laisser débouler tous les excès, à envisager l’impensable. Un impensable qui a bien eu lieu et dont l’écrivain nous fournit une version inédite. Avec les trouvailles d’une écriture où le grave et le grotesque s’équilibrent.
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