jeudi 8 mars 2012

Bernard Quiriny: les femmes au pouvoir, oui, mais..

Donc, aujourd'hui, c'est la journée internationale des femmes. D'accord. Qu'est-ce qu'on fait? On les met au pouvoir? Chiche! Le premier roman de Bernard Quiriny, Les assoiffées - l'auteur est surtout connu pour ses nouvelles -, est réédité aujourd'hui aussi, ça tombe bien, au format de poche. Une manière originale d'explorer cette possibilité...
Bernard Quiriny aborde avec talent le terrain de l’uchronie, réécrivant l’Histoire en la détournant de son cours. La donnée de départ est simple (la suite l’est moins): «En 1970, une révolution renverse le pouvoir aux Pays-Bas. L’année suivante, elle s’étend à la Belgique puis au Luxembourg. L’ancien Benelux est aujourd’hui, au cœur de l’Europe, le pays le plus fermé du monde.» Rien à voir avec une éventuelle partition linguistique. En revanche, tout n’étant pas dit dans les quelques lignes d’introduction, la guerre des sexes a fait rage et s’est conclue par une victoire des femmes. A la direction du pays, elles se découvrent un goût aussi sûr que certains hommes pour la dictature. En 1983, elles ont créé une zone de sécurité autour de leur territoire. Douze ans plus tard, la Belgique s’est retirée des organisations internationales, a fermé ses frontières et a rompu toute relation avec l’extérieur.
Le modèle semble fonctionner, bien qu’en réalité personne n’en sache rien. Les informations qui circulent ne sont à l’évidence que de la propagande. Cela n’empêche pas d’y croire et d’interpréter la réussite présumée de cet État comme une avancée considérable du féminisme. Il suffit d’avoir la foi, comme la plupart des Français invités, à titre exceptionnel, à visiter la Belgique. Une délégation prête à accepter toutes les exigences, si absurdes puissent-elles paraître, et à ramener un témoignage enthousiaste.
Cela paraîtrait trop gros pour être crédible si le passé ne nous enseignait l’existence de tels voyages organisés dans des pays conduits fermement vers le bonheur malgré la volonté non exprimée de leur population. Interrogé, Bernard Quiriny reconnaît avoir été inspiré par quelques antécédents: «Un reportage du magazine Strip-tease sur une délégation d’élus belges en voyage officiel en Corée du Nord. Cela s’intitulait, je crois, Une délégation de très haut niveau. Plus lointainement, diverses lectures sur l’URSS sous Staline, ainsi qu’un essai de François Hourmant sur les voyages d’intellectuels dans les pays communistes. Et l’arrivée de Haddock et Tournesol au San Theodoros dans Tintin chez les Picaros
Certes, ici, il s’agit de femmes et non d’un général Tapioca de pacotille ou de communistes purs et durs. A la lecture, pas le moindre risque pourtant de prendre Les assoiffées pour un roman antiféministe. Qu’il soit contre l’endoctrinement, en revanche, Bernard Quiriny nous le confirme: «J’aurais pu écrire le même roman avec des fondamentalistes religieux, une secte millénariste, des écologistes fanatiques, des néo-bolcheviques quelconques, etc. Sur le principe, ça aurait fonctionné. Mais, allez savoir pourquoi, les féministes radicales m’inspiraient davantage, de même que le Benelux était à mon sens un meilleur décor que la Suisse ou Monaco. Pourquoi? Je n’en sais rien: bizarreries de l’imagination, mystères du sens de l’humour.»
De bizarreries, il n’en manque pas dans ce livre sombre mais allègre, tant il est plaisant de se laisser conduire par le bout du nez dans un monde inconnu en compagnie de voyageurs qui ont décidé de l’admirer. Le lecteur, bien sûr, n’est pas dupe, d’autant qu’en contrepoint de la visite, le journal d’Astrid Van Moor propose, de l’intérieur, une vision assez différente.

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