mercredi 6 novembre 2013

Richard Ford, Prix Femina étranger

J'aurais volontiers parié sur Alan Hollinghurst ou Jaume Cabré. Heureusement, je n'ai rien parié du tout et c'est Richard Ford qui reçoit le Femina étranger pour Canada, choisi dès le premier tour avec 6 voix contre 2 au roman de Patrick McGuiness, Les cent derniers jours.
En prenant dans Canada la voix de Dell, adolescent américain de quinze ans, Richard Ford a écrit un roman où les pertes et les gains, sur un plan personnel, s’équilibrent à peu près pour constituer, ensemble, une initiation. Les deux pans de celle-ci, dont la charnière est un événement malheureux, constituent l’essentiel du livre et se déroulent en 1960. Une troisième partie, plus brève, le conclut.
Les deux premières phrases montrent que Richard Ford n’accorde à l’intrigue qu’une importance mineure. Elles dévoilent les principaux rebondissements : « D’abord, je vais raconter le hold-up que nos parents ont commis. Ensuite les meurtres, qui se sont produits plus tard. » Voilà qui est dit. Dell et Berner, sa sœur jumelle, subiront les conséquences du hold-up aux Etats-Unis. Et le narrateur seul, au Canada, celles des meurtres. Encore n’a-t-on aucune idée de la manière dont les choses se produisent et l’envie de le découvrir suffit peut-être à susciter l’intérêt…
Les drames mis d’emblée en évidence semblent annoncer un roman noir, voire misérabiliste. Le pauvre enfant soumis au chaos des adultes ne peut à l’évidence pas s’en sortir sans blessures morales profondes. Dell, racontant son histoire, éprouve d’ailleurs le besoin de recadrer le sentiment négatif que pourrait éprouver le lecteur. Il est très clair, à la fin de la première partie, quand Berner, sa sœur, quitte Great Falls : « Se focaliser sur la silhouette de Berner qui s’en va ferait de toute cette histoire un récit de la perte et du deuil, et ce n’est pas l’idée que j’en ai, aujourd’hui encore. Je crois au contraire qu’elle raconte une progression, un cheminement vers l’avenir, notions qui ne sont pas toujours faciles à appréhender quand on a le nez dessus. »
Tout part de la défaillance de parents mal assortis. Le père, qui rêvait d’être pilote de chasse et n’a volé que sur des bombardiers pendant la guerre, semant sous lui une mort anonyme, est un aventurier aux ailes trop étroites pour ses rêves. Mouillé dans un trafic de viande, il est viré de l’armée, recommence avec d’autres complices, se trouve acculé à payer 2000 dollars qu’il ne possède pas et braque une banque pour se renflouer. Son épouse, plus fine, ne pense qu’à le quitter mais l’accompagne – une dernière fois ? – et le couple de gangsters amateurs ne tarde pas à être arrêté.
Les enfants, qui se contentaient jusque-là de mesurer l’écart grandissant entre les parents, sont livrés à eux-mêmes, sur le point d’être placés par l’assistance publique. Berner part seule, Dell est pris en charge par une amie de sa mère qui lui fait passer la frontière canadienne et le confie à son frère, curieux bonhomme au passé pas très net devenu gérant d’un hôtel. Arthur Remlinger ne sera pas tout à fait un père de substitution, ou trop bien : lui aussi sera responsable d’un nouveau drame dans la vie de Dell. Celui-ci a toujours 15 ans, mais a vécu tant de choses en quelques mois qu’il se forge, en grande partie, une personnalité d’adulte.
Un adulte plutôt réussi, et c’est là que Richard Ford voulait en venir, grâce à une dernière partie qui éclaire tout ce qui précède d’une lumière bien moins sombre. La capacité de l’homme à rebondir est presque sans limites, à condition de hiérarchiser ce qui est arrivé, d’« assembler des éléments disparates pour les intégrer en un tout où le bien ait sa place, même si, avouons-le, le bien ne se laisse pas trouver facilement. » Cette modeste tentative, à l’échelle individuelle, d’organiser sa vie et de lui donner un sens fournit la matière d’un splendide roman.

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