vendredi 1 novembre 2013

Fin de parcours pour SAS et Gérard de Villiers

Gérard de Villiers, 83 ans, vient de mourir. Il avait écrit exactement 200 volumes des aventures internationales, musclées et érotiques, de Son Altesse sérénissime Malko Linge, plus connu par les initiales S.A.S. (La vengeance du Kremlin, qui vient de paraître en octobre, était le n° 200 de la série.) Quatre fois par an, il déboulait dans les librairies, surtout dans les gares et les aéroports. Destination : un coin de la planète en ébullition. en juin, c’était Kaboul, encore pour une de ces missions que la C.I.A. ne peut pas accomplir elle-même. Il avait fallu deux volumes pour la raconter, la faire échouer, mettre Malko en grand danger et l’équilibre de la région en péril. Sauve-qui-peut à Kaboul, en effet...
Les Américains voient d’un mauvais œil l’avenir d’un Afghanistan où Hamid Karzai envisage de rester au pouvoir par l’intermédiaire d’un proche qui serait le prochain président. Ce n’est pas acceptable : il faut l’éliminer. Et la sale besogne sera pour Malko, qui part à reculons.
Car Malko possède une éthique, ce dont les lecteurs ne s’étaient peut-être pas suffisamment rendu compte. Et cette mission choque son éthique : assassiner un président, quand même… Mais il faut bien que quelqu’un fasse le sale boulot. Pour apaiser sa conscience, il ne se fera pas payer cette fois-ci. Les réparations de son château en Autriche attendront.
De l’Afghanistan, de son pouvoir corrompu, du rôle des Talibans, du trafic de drogue, le romancier va tout nous dire, tout nous apprendre. Intronisé en janvier par le New York Times meilleur décodeur des sacs de nœuds les plus indéchiffrables, bénéficiant depuis ce moment d’une considération nouvelle, Gérard de Villiers ne peut plus être lu qu’avec respect. Le respect qu’on éprouve pour l’oracle qui a annoncé, dans plusieurs romans, des faits apparemment imprévisibles : l’assassinat de Sadate, celui de Rafiq Hariri, une tentative d’élimination de Bachar al-Assad…
Entre les analyses de la C.I.A. et les alliances de circonstance, Sauve-qui-peut à Kaboul ne foisonne pourtant pas de révélations spectaculaires. On découvrira que les Afghans sont plus retors que les Américains : une question de culture. Que les Talibans peuvent redevenir des alliés. Que la main droite d’Obama préfère parfois ne pas savoir ce que sa main gauche a signé. Ou que les routes ne sont pas sûres aux environs de Kaboul…
Des ingrédients que tout auteur de thriller qui se respecte utiliserait à peu près de la même manière. Peut-être d’ailleurs dans une perspective plus cohérente. Ici, les faits et les phrases s’enchaînent à toute allure, sans souci stylistique. Seule la vitesse de la narration fait vaguement tenir tout cela ensemble.
Des tentatives d’humour tombent à plat, chaque fois qu’un ange passe pendant une conversation : il essaie de garder son sérieux, se voile la face, il s’enfuit, effrayé, il a les ailes en berne, etc. L’humour involontaire est plus efficace avec, par exemple, une réflexion de Malko : « Le monde du renseignement était impitoyable, broyant les individus comme dans une meule. Il aurait dû le savoir, mais se laissait chaque fois surprendre. » Au 199e volume de ses aventures ! Ce garçon n’apprend décidément pas très vite…
Passons sur l’usage intempestif du verbe « rafaler », dont le seul mérite est d’être aisément compréhensible, ainsi que sur d’inévitables remarques douteuses (des Japonaises « hideuses aux jambes arquées »), pour en venir à la promesse implicite faite dès la couverture des livres : la présence de scènes sexuelles torrides. Elles sont surtout mécaniques, jusque dans la description. Malko s’enfonce toujours « jusqu’à la garde », la santé est excellente, merci pour lui. Eros et Thanatos font bon ménage, c’est bien connu, l’auteur le rappelle au cas où nous l’aurions oublié.
Dans les dernières lignes, Malko Linge se dit qu’il va regretter l’Afghanistan. Pas nous.

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