Georges Thinès, scientifique autant qu'écrivain, mais authentique écrivain, avait 93 ans. Nous avions eu l'occasion de travailler ensemble, il y a longtemps, sur l'édition d'un de ses livres et cela avait été un bonheur. Sait-on que ce Belge a traduit les Poèmes anglais de Pessoa, disponibles en poche dans la collection Points?
Un bref éclairage sur deux de ses ouvrages, ceux à propos desquels je retrouve les articles que je leur avais consacrés.
Le tramway des officiers (1973)
Prix Rossel en 1973 pour ce roman, Georges Thinès est un écrivain peu banal. Comme écrivain, déjà, puisqu'il touche à tous les genres littéraires, de la poésie à l'essai en passant par le roman, bien sûr - Le tramway des officiers en est un - mais aussi par le théâtre. Mais il est aussi un scientifique de haut vol, qui a reçu le prix Francqui en 1971. Et il faudrait peut-être parler aussi de ses activités musicales pour comprendre comment cet homme est à la fois multiple et cependant profondément cohérent dans tout ce qu'il fait.
Au fond, c'est un regard de philosophe qu'il jette sur le monde, même quand il le traduit dans un livre comme celui-ci, en événements concrets situés dans un contexte précis: l'occupation allemande en 1940. Les personnages ont de la consistance, et le hasard qui les réunit chaque jour dans le même tramway permet d'interpréter non seulement leurs attitudes mais aussi tout un système totalitaire et, au-delà, la manière dont fonctionne l'humanité.
Roman ambitieux par conséquent, mais aussi très accessible, Le tramway des officiers est un assez bon condensé des questions qui préoccupent en permanence Georges Thinès.
Les Cités interdites (1991)
Les Cités interdites, de Georges Thinès, est un recueil de poèmes qui se déploie en quatre mouvements terminés par «La Statue du lecteur»: «Langue inconnue, la seule du monde qu'écrit le lecteur dès qu'il jette un regard sur la page.» La place de cette dernière partie ne relève évidemment pas du hasard: Georges Thinès n'écrit pas seul, il cherche à entrer en communion avec celui qui le lit, à lui communiquer son insatiable appétit du monde. Car Les Cités interdites embrasse tous les lieux et toutes les époques, mêle les mythes au temps présent, touche à l'épopée et à la méditation... Livre total, ce recueil rejoint tous les autres ouvrages de son auteur - et l'on sait qu'il a touché à tous les genres ainsi qu'à des domaines très variés - en y ajoutant le sens musical qui fait de Georges Thinès non pas un touche-à-tout, fût-ce de génie, mais un humaniste de notre époque, espèce en voie de disparition dont il perpétue la saine tradition.
Rien de moins traditionnel cependant que son approche du monde et de la vie. De petits détails s'insèrent entre deux réflexions,- et tout cela navigue de conserve, avec un bel aplomb, sur les océans de la connaissance. C'est que les racines des poèmes plongent loin dans l'histoire de l'humanité et s'élèvent jusqu'aux rives de la philosophie. Malgré ce foisonnement de thèmes qui empêche, dans un premier temps, de saisir l'unité fondamentale de ce livre - qu'il faudra reprendre, et reprendre encore, pour en extraire tout le suc -, le nouvel ouvrage de Georges Thinès est plus lumineux qu'obscur. Il s'en dégage une sorte de confiance dans l'homme qui doit être un autre point commun entre les trois poètes rassemblés ici. Même si leurs voix sont différentes, ils se rejoignent dans une même fraternité d'humains.
C'était aussi un généreux éducateur, un grand scientifique (prix Francqui 1971) et un chouette violoniste. Sa poésie est par trop engraissée de culture pour être légère et musicale mais c'était un bon écrivain avec un style certain. Un grand monsieur.
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