La fuite vers Monastir
(De notre envoyé spécial.)
Salonique,
4 octobre (retardée dans la transmission).
Hier, 3 octobre, la bataille de Monastir a subitement
tourné. Contre toute attente, les Bulgares ont lâché leurs lignes et se sont
précipités, plutôt que retirés, en arrière. Sous la poursuite des Serbes, ils
ont fait un saut de dix kilomètres vers Monastir. On aurait dit que c’étaient
eux qui étaient chargés de prendre la ville d’assaut.
Les Serbes commencèrent l’action à cinq heures du
matin ; le jour n’était pas encore levé ; il se leva pour éclairer déjà
le fléchissement de l’ennemi. De notre côté, nos canons se mirent à préparer le
terrain réservé à l’attaque française. Sans attendre ni la fin du bombardement,
ni l’attaque, les Bulgares s’enfuirent dès les premiers obus. Nous nous
emparâmes d’Armenohor, à l’est de Florina ; de Petorak, au centre de la
vallée de Monastir, pendant que les Serbes, marchant rapidement, arrivaient à
la gare de Kenali, qu’ils enlevèrent, baïonnette haute.
Du coup, la Macédoine occidentale était complètement lavée
des Bulgares. Toutes les lignes françaises et russes étaient portées à la
frontière serbe et toutes les lignes serbes avaient largement mordu en Serbie
même. Les héros, jadis épuisés, arrivaient à la boucle de la Tcherna et, en
trois endroits, traversaient la rivière.
Qu’ont les Bulgares ? Leur attitude présente dément du
coup leur ténacité de toute la semaine. En ont-ils assez de subir des
préparations d’artillerie dont toutes leurs guerres ne leur avaient donné
aucune idée ? C’est possible.
Ce qui est certain, c’est que, dans cette journée, ils
viennent carrément de lâcher sans combattre. Ils se sont arrêtés à leur ligne
de Skochivi, Slivica, Brod, Kenali, Medjidi. Avant la nuit, on voyait, en
effet, leurs colonnes monter vers le Nord. On peut supposer qu’ils vont se
retrancher sur une ligne qui est derrière celle de Kenali.
En tout cas, les Serbes sauront sûrement toutes ces graves
choses demain dès l’aube. Ils se jetteront sur Kenali ; ils sont de
résolution farouche ; ils sont merveilleux.
Le Petit Journal, 7 octobre 1916.
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