Le Boche plie, le Boche recule
Ce que disent les prisonniers
(De l’envoyé
spécial du Petit Journal.)
Front britannique,
28 septembre.
C’est bien
elle, c’est bien la grande danse. C’est maintenant de Verdun en Belgique
qu’elle a lieu. C’est à ne plus savoir où courir. Foch vient d’empoisonner
l’existence de deux sortes de gens : les Allemands et nous pauvres
correspondants de guerre. Où voulez-vous que nous allions pour accomplir notre
tâche ? Vous êtes dans le bois Bourlon à suivre la marche sur Cambrai
quand un officier vous crie : « Malheureux, qu’est-ce que vous faites
là ? C’est dans le nord qu’il faut être, Plumer, le vieux Plumer vient
d’attaquer. » On n’a pas le temps de se garer d’une marmite qu’il
ajoute : « Et les Belges aussi viennent d’attaquer ce
matin ! » Comme hier, les Allemands s’attendaient au coup. C’est ce
qui donne tant d’importance aux avances alliées. Elles ne doivent leurs succès
à rien d’autre qu’à la force. Si l’ennemi recule ce n’est pas qu’il est
surpris, c’est qu’il est le plus faible. Fini le temps où pour nous prouver à
nous-mêmes que notre ennemi était malade nous ergotions sur des statistiques,
des déclarations ou des impressions. Aujourd’hui c’est la preuve par les armes
que nous en avons ; le Boche se débat, le Boche plie, le Boche étouffe.
Pour la première fois nous venons de l’étreindre à pleins bras. Notre étreinte
est tombée à point, c’était juste au moment où il se sentait la poitrine la
plus faible. Il a encore ses deux poumons mais pour combien de temps ?
Troublant
rapprochement : au moment où les Serbes prennent l’offensive et revoient
leurs maisons, voilà les Belges qui se déclenchent. Sœurs dans le malheur, les
deux nations ligotées recouvrent l’espérance presque le même jour. Pour la
Serbie, le soleil a lui, pour la Belgique, le canon tonne et ses enfants se
sont relevés. Ces nouvelles nous arrivaient au bois Bourlon en même temps que
des prisonniers allemands.
J’en ai vu des
prisonniers depuis quatre ans, ils m’en ont fait des déclarations, mais jamais
aussi saisissantes que celles de tout à l’heure. Les voici :
— Eh
bien, ça ne va pas trop bien pour vous, leur dis-je.
Ils me
regardèrent d’abord et ne répondirent rien.
Je repris :
— Vous
savez que vous êtes attaqués de Verdun à la Belgique.
Ils ne le
savaient pas.
Je repris
alors :
— Qu’est-ce
que vous en dites ?
L’un d’eux, un
Saxon, un sous-officier parlant vivement et faisant un geste vers les lignes
allemandes, se mit subitement à dire :
— Ils ne
tiennent plus là derrière. Ils n’ont plus de réserves.
— Vous
n’avez plus de réserves, qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— C’est
que je l’ai vu.
— Et
votre classe 20 ?
— Notre
classe 20, on en rencontre déjà dans toutes les unités, de tous les côtés.
— Même de
celui-là, lui dis-je, en lui montrant un petit tas de cadavres allemands pas
loin de nous.
— Oui,
fit-il. Nous en avons déjà beaucoup de morts.
Et soudain
s’animant, il me cria :
— Et
puis, vous le savez mieux que moi, l’infanterie ne peut rien faire, ne peut
même pas tenir si elle n’est soutenue par l’artillerie. Or notre artillerie ne
nous soutient plus, elle n’a plus de réserve.
Et il disait
cela d’un ton tragique.
Il y avait
aussi un prisonnier autrichien.
— D’où
es-tu ? lui dis-je.
— De
Budapest.
— Oh !
Alors, je vais t’apprendre une nouvelle qui va t’intéresser, toi qui es
Hongrois : la Bulgarie demande la paix.
Le Hongrois
sourit. C’était trop gros, il ne voulut pas le croire.
Le Petit Journal, 29 septembre 1918.
Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:
Dans la même collection
Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille
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