Saint-Mihiel aura son écho
(De
l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front britannique,
13 septembre.
Et pendant que
les Américains, leur heure sonnée, les étrillent plus loin, les Britanniques,
si l’on ose dire, ne perdent pas le nord. Il n’y a plus de silence maintenant
sur la ligne de bataille, ou, quand il s’en établit un, c’est que l’on ne va
pas tarder à déchaîner un de ces fracas qui entretiennent de si loin la maladie
de nerfs de l’impératrice d’Allemagne. Rien non plus n’est négligé dans la
magnifique ordonnance de nos affaires victorieuses. Une armée sait se taire à
temps pour laisser la parole à une autre, mais elle sait aussi ne pas se taire
complètement. À peine a-t-elle terminé sa série d’actions d’envergure qu’elle
prépare la route qu’elle devra reprendre quand de nouveau au cadran de Foch
sonnera son heure. Depuis bientôt deux mois, nous montons à l’assaut de l’armée
allemande et nous ne cessons d’y grimper que pour construire çà et là les
escaliers qui nous y conduiront de nouveau. Ainsi ont fait, hier, les
Britanniques.
Ils ont
d’abord percé une fois de plus la ligne Hindenburg. Si nous continuons à lui
faire des ouvertures, les Allemands qui sont derrière s’y enrhumeront, car elle
ne sera plus qu’un vaste courant d’air. Et c’est dans la direction de Cambrai
que nous avons porté ce coup. Avouez que ce ne doit pas être par hasard que ce
soit juste face à cette ville que nous ayons éprouvé le besoin de travailler.
Nous avons traversé le canal du Nord, pris le village d’Havrincourt, ramené
mille prisonniers. C’eût été l’action du jour pour les temps, pas encore très
lointains, où nous faisions la guerre sur place. Ce n’est aujourd’hui qu’une
action pour lendemain.
Nous n’entreprenons
plus rien désormais qui ne doive porter des conséquences, nous ne plaçons plus
notre héroïsme à sang perdu. Si les Anglais ont dépensé leur énergie pour
franchir le canal et prendre Havrincourt, j’en demande pardon au canal et à
Havrincourt, ce n’est pas certainement pour eux. Ce n’est pas davantage par
curiosité, nos amis connaissaient l’endroit, ils y furent en novembre dernier.
C’est précisément le même général et les mêmes soldats qui viennent d’y
revenir : Byng et la 62e division. Aurait-on pris ce soin
de choisir les combattants pour une attaque ordinaire ? Et les Allemands,
qui se sont laissé chatouiller tant de fois ces semaines dernières,
auraient-ils à quatre reprises tenté de se rebiffer si la nouvelle perte qu’ils
subissaient ne consistait que dans celle d’un village ? Car ils ont
contre-attaqué rageusement et de jour et de nuit. Pour le reprendre, ils ont
appelé sur ce point, du monde qu’ils avaient ailleurs. Ils ont eu tort. C’est
autant qu’ils ont perdu.
Les Allemands
n’ont pas beaucoup moins de lucidité que nous, les significations de nos gestes
ne leur échappent pas. Ils voient fort bien quand sur eux se forment des
nuages, ils essaient de les crever, ils n’y réussissent plus. La victoire dans
leurs rangs est devenue sourde et chez nous tout se répond.
L’Aisne a
répondu à la Marne, Péronne a répondu à Montdidier, Saint-Mihiel aura son écho.
Le Petit Journal, 14 septembre 1918.
Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:
Dans la même collection
Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille
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