dimanche 23 septembre 2018

14-18, Albert Londres : «L’empereur Guillaume a autant de raisons d’être de mauvaise humeur.»




L’avance des Britanniques les rapproche de la ligne Hindenburg

(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front britannique, 18 septembre.
Si l’Allemagne possédait deux oreilles, ce qui n’est pas probable, n’ayant rien entendu à ses propres affaires, je crois qu’elle ne les aurait jamais eues plus rouges qu’en cet heureux été. On les lui frotte de tous les côtés ; quand l’un s’arrête, l’autre reprend. Jusqu’à Salonique qui s’en mêle. Mais ne nous échappons pas sur les rives de la Cerna et demeurons dans notre secteur, c’est-à-dire chez les Britanniques.

Trois minutes de bombardement

Ce matin, à 5 h. 20, les Britanniques viennent de leur offrir une nouvelle petite séance de gant de crin. Il ne faisait même pas encore jour. J’en donne pour preuve que les trois minutes de bombardement qu’on leur servit éclatèrent aux yeux comme un feu d’artifice et chacun sait que les feux d’artifice ne se tirent que la nuit. Le réveil ainsi sonné, nos amis, qui n’en sont pas à une prévenance près, allèrent les tirer par les pieds.
Ce ne fut pas une surprise. Plus rien maintenant ne peut leur être une surprise. Ils savent comme nous les points où nous devons les attaquer, et comme ce que nous devons faire, désormais nous le faisons. Ils sont renseignés merveilleusement sur ce qui leur pend au nez. Quoique entamée d’un esprit léger, c’était donc une lourde tâche que nous entreprenions.
Elle était lourde pour deux motifs : premièrement, parce qu’elle se heurterait à toute l’artillerie de la ligne Hindenburg ; deuxièmement, parce qu’elle serait sans auréole immédiate ; et elle serait ainsi, parce qu’aucune ville ne viendrait couronner sa fin de journée et parce qu’elle n’était qu’à objectifs limités et non « de percée ».

Objectifs limités, mais importants

Mais il est déjà assez qu’une tâche soit ingrate sans que, pour le coup, elle devienne insignifiante. Celle-ci était d’un aussi grand intérêt, parce qu’elle a forcé l’ennemi à se replier sans pouvoir utiliser nos vieilles lignes de défense. Car tout vient en son temps.
Je voudrais que le lecteur apprît à suivre la guerre, non avec ses désirs, mais avec les yeux des chefs et les jambes des soldats. Ne sautez pas ainsi, chers amis, et à tout bout de champ, sur les gros noms qui éclairent les cartes. Il n’est pas, pour les combattants comme pour vous, que l’espace d’un petit doigt entre le trait qu’ils occupent et le rond noir de la cité. Quand on partira pour prendre une autre section de la ligne Hindenburg, je vous le dirai…
L’armée qui opéra est la 4e armée, celle qui est en liaison avec les troupes françaises. Le but de cette bataille était de rejeter les Allemands, sur cette longueur-là, dans la ligne Hindenburg. Pour cela, nous devions faire une avance de 5 kilomètres. L’opération était montée en deux temps. Premier temps : gagner la ligne des hauteurs Le Verguier, Hargicourt, Ronssoy, Épéhy. Deuxième temps : comme ces hauteurs ne nous donnaient pas une vue continue sur la ligne Hindenburg, s’emparer, pour avoir cette vue, de l’ancienne ligne d’avant-poste britannique, de la ligne du 21 mars.
Ainsi fut-il fait.

Attaque réglée au chronomètre

La veille, au quartier de cette armée, sur le coup de six heures et demie, un général anglais nous avait expliqué l’affaire. Il l’avait fait si bien et avec tant de précisions que, ce matin, en regardant sur le terrain se dérouler l’action guerrière, je me rendis compte que, si j’avais été un de ces hommes paresseux ainsi qu’il en existe, j’aurais très bien pu demeurer dans mon lit et vous raconter la bataille comme si l’y avais assisté… À l’heure où le général avait dit que les troupes partiraient, elles partirent. La résistance qu’il avait prévue eut lieu. Où il avait prétendu qu’il serait à 8 heures et demie, il y était. Où il devait reconduire l’ennemi, il le reconduisit.
Ajoutons que les divisions qui attaquaient étaient toutes des divisions en ligne et que vraiment l’empereur Guillaume a autant de raisons d’être de mauvaise humeur.
Le Petit Journal, 19 septembre 1918.



Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:

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Lectures pour une ombre
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Voyages au front de Dunkerque à Belfort
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