Notre victoire a des ailes… et notre ligne
aussi
(De l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front britannique,
8 septembre.
Ludendorff, à
la manière de certains enfants, a lancé son cerceau de telle façon qu’il lui
est revenu dans les jambes. C’est maintenant que toutes les choses qui se
passeront vont être palpitantes. Non que celles qui viennent de se dérouler
aient été faibles en intérêt. Ce sont les Allemands qui étaient partis et c’est
nous qui sommes arrivés. Le résultat porte de si définitives conséquences en
soi qu’il serait futile de vouloir les démontrer, chacun les voyant. Mais
justement voilà Ludendorff revenu au point d’où il prit son essor. Pourra-t-il
s’y cramponner ? Le balaierons-nous plus loin ?
Partout où il s’arrêtait l’ennemi a dû lâcher
prise
Depuis une
semaine tout le monde sait que l’ennemi recule sur la ligne Hindenburg.
Personne cependant ne s’est trompé sur cette résolution allemande. Ce n’est pas
d’un coup qu’elle a été prise. Ce n’est pas d’une seule foulée qu’il a entendu
d’abord regagner l’entrée de Saint-Quentin. Il s’arrêtait en route avec le
secret espoir que nous ne le forcerions pas d’aller plus loin. Pour se sauver
de ce terrible recul, ce n’est plus sur lui qu’il comptait, c’est sur une
faiblesse. L’ennemi ne nous entendit pas souffler un seul instant, il n’y eut
pas d’erreur, on le frappa toujours à l’endroit et à l’heure qu’il fallait
qu’il fût frappé. Implacablement partout où il s’accrochait, nous lui avons
fait lâcher prise. D’instinct chacun comprenait que cette victoire allait nous
arriver et des villes comme Noyon, Chauny, Ham, Bapaume, Péronne ont été prises
d’office par les spectateurs de la guerre bien avant que par les soldats. On
savait ce que notre marche victorieuse allait nous rapporter. C’était une
répétition de 1917, ni nouveautés ni surprises.
La grande
pièce, commencée le 18 juillet une fois le principal acquis, c’est-à-dire
le renversement des rôles et la chute dans un trou sans fond de tous les rêves
allemands, allait donc se diviser pour le public en deux parties. Première
partie : reconduite des Allemands à leur ligne de départ ; deuxième
partie : agir sur cette ligne. Nous sommes ou serons demain à cette
deuxième partie.
D’un côté
Noyon, Chauny, Ham, Bapaume, Péronne du déjà vu ; de l’autre côté
Saint-Quentin, La Fère, Laon, Cambrai, Douai, Lens et ce serait battre deux
fois les Allemands que de les défaire sur un terrain où, depuis quatre ans, ils
sont les maîtres. Vous comprenez pourquoi c’est de cet autre côté que nous
guettons tous.
Rawlinson
qu’épaule Debeney a bien repris hier du terrain, ce n’est pourtant pas derrière
lui que nous étions, nous qui suivons l’armée britannique. Nous nous doutions
d’avance ce qu’il allait récupérer ; c’est vers la ligne Hindenburg qu’il
allait, dans l’état où se montre l’Allemand, victoire courue, pouvait-on dire,
c’est plus haut que nous regardions, devant Cambrai, devant Douai.
La partie qui se joue
Si nous étions
engagés dans une offensive semblable à celles que nous avons menées jusqu’ici,
je veux dire limitée et face à l’obstacle, il serait bon, croyons-nous, de
mettre une sourdine à nos espoirs immédiats sur Cambrai. Là, le canal du Nord a
quatre pieds d’eau, le Boche a tendu des inondations artificielles et il se
fortifie. Contre la poussée directe, il est sinon paré, du moins prévenu. On
sait que sur le reste du front il a été jusqu’à abandonner des positions, on
dirait même qu’il cherche de l’eau pour mettre entre nos tanks et lui. C’est
qu’il a toujours peur de perdre Cambrai et beaucoup de choses avec, car il n’y a
pas aujourd’hui que notre victoire seulement qui a des ailes, il y a notre
ligne aussi.
Le Petit Journal, 9 septembre 1918.
Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:
Dans la même collection
Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
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Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille
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