dimanche 9 octobre 2011

"Après le livre", quelques questions à François Bon

François Bon publie Après le livre. Deux fois, puisque coexistent une version papier et une version numérique, conséquence logique d'une démarche initiée depuis longtemps dans son propre travail et bien au-delà, puisqu'il a embarqué avec lui un nombre d'auteurs sans cesse croissant. Dans cet essai où il accompagne et parfois précède les effets de la révolution numérique sur le présent et l'avenir du livre, il réfléchit à la manière de se comporter face au courant qui, si nous n'y prenons garde, emportera bien des acquis sans nécessairement les remplacer par d'autres. En écrivain autant qu'en acteur de ce changement, il apporte une expérience riche de possibilités nouvelles. Et les partage, au-delà de cet ouvrage, en répondant par mail à quelques questions.

Au lieu de crier à l’apocalypse, comme le fait Frédéric Beigbeder, devant les mutations du livre, vous préférez accompagner le mouvement. N’est-ce pas une forme de résignation?

Au contraire, vrai plaisir – même si les appareils continuent d’évoluer – à être physiquement dans phase cruciale recherche et invention: trouver ergonomie de lecture numérique qui intègre les 300 d’histoire de la typographie, et se basent sur nouvelle architecture intérieure du livre.

Au fond, le texte n’est-il pas plus important, à vos yeux, que le support?

Ça, c’est une banalité depuis longtemps, sinon, on ne lirait pas Saint-Augustin ni Pline ni Eschyle. Mais avec le numérique on change de paradigme: les annotations par exemple peuvent intégrer le corpus partageable, et penser l’écriture dans son rapport voix, geste, image, que le support imprimé contraignait à éliminer de l’objet, ouvre de très grandes pistes.

Pourtant, la description que vous faites de vos bibliothèques montre bien que vous aimez le papier. N’y a-t-il pas là une contradiction?

Désolé mais, né en 1953, quand j’ai appris à lire en 1960 le livre papier était plus répandu que le livre numérique. Nous avons formé notre imaginaire, et l’exercice très savant qu’est la lecture, dans les objets imprimés. La bibliothèque ne change pas, en changeant de support. On lit et lira toujours autant Montaigne. C’est l’opposition binomiale qui est fatigante: aujourd’hui, nos usages privés (correspondances, carnets, archives) comme nos usages publics (travail, socialité et réseaux, création) sont d’abord numériques – depuis notre territoire numérique nous réinventons, et reconstituons, notre bibliothèque.

Avez-vous besoin d’un territoire très vaste? Vous naviguez de Rabelais à Koltès, de Balzac à Novarina…

La langue n’est pas divisible. Quand on veut la travailler, on l’appréhende dans son histoire. J’ai publié mon premier livre il y a bientôt 30 ans, j’ai eu le temps de lire (et continue).

Il reste, malgré le numéro de version (huit) du texte que j’ai lu, pas mal de coquilles. Est-ce pareil dans l’édition papier? Et à quand la neuvième version?

J’ai conçu ce travail comme un accompagnement, un regard sur la gestation même, d’où la suite de versions. Effectivement, la neuvième est une relecture des scories, pour laquelle il me fallait – comme dans l’édition classique – le regard extérieur d’un correcteur. Travail qu’on fait aussi les éditions du Seuil, avec d’ailleurs leurs propres codes typo, Web (maj) et non web (min) par exemple. Le droit apprend à distinguer en ce moment l’editing du publishing (l’anglais avait les 2 mots, pas nous), et de séparer l’editing (droit de la production de données) de la propriété intellectuelle, qui reste l’apanage de l’auteur. Collaborer de cette façon avec les éditions du Seuil nous aidait à commencer à manipuler ce qui va devenir le vocabulaire de base pour l’édition, traditionnelle ou numérique.

Je reprends, sur les archives Internet du Soir, les principaux articles que j’y ai publiés depuis qu’ils sont archivés sous cette forme. J’ai commencé à le regrouper par année, pour en faire des livres papier que je serai peut-être le seul à acheter, mais cela n’a aucune importance puisque le but est de les ranger dans ma bibliothèque. Est-ce grave, docteur?

Bien sûr que non, et nous-mêmes à publie.net nous préparons à des versions Print On Demand de ceux de nos ouvrages qui le permettent. Par contre, si votre publication est “seulement” papier, elle est morte avant d’exister. Dans votre cas, une version numérique, accompagnée de mots-clés, serait beaucoup plus pertinente pour accessibilité générale sur des thèmes qui peuvent être ultra-pointus.

Je me suis beaucoup amusé à vous lire à propos du papier carbone. En déménageant il y a une semaine, j’ai trouvé quelques formulaires doubles qui ne m’appartenaient pas, des feuilles de papier séparées par un papier carbone (peut-être pour compenser quelques menues autres choses égarées en route?). Je les ai regardés comme des antiquités, alors que je n’avais pas encore lu le chapitre que vous y consacrez. Alors aussi qu’à Madagascar, le papier carbone est toujours d’usage fréquent, dans les commissariats par exemple...

Une question encore plus vaste sous-jacente: le continent africain va accéder à la circulation des textes via le téléphone, en sautant l’étape livre. Ce qui était important pour moi, dans ce livre, c’est de déplier les dix ou quinze dernières années (on parle toujours de “nouvelles technologies”, c’est une vraie scie, alors que mes enfants n’ont jamais connu la maison sans ordinateur, et que la plus jeune, qui vient de rentrer en terminale, n’a jamais connu la maison sans Internet). La mutation que nous traversons n’est pas prédictible: mais elle a suffisamment accumulé de strates pour être une micro-histoire. Appréhendons comme telle cette histoire récente, et nous serons mieux armés pour que cette mutation – évidemment violente, et qui reconfigure le visage de tout un métier – ne laisse pas sur la route trop de cadavres, même si le rôle semble parfaitement convenir à certains, plutôt que de se familiariser avec la maîtrise d’un site ou de commencer à lire numérique.

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