Beaux arrivages, aujourd'hui, dans les librairies où les romans de la rentrée littéraire, en attendant les prix, vont devoir se serrer un peu pour faire la place à trois gros ouvrages séduisants que l'on pourrait, en les tirant tous de ce côté, ranger collectivement sous l'étiquette "autofiction". Avec des nuances...
De la manière dont il avait déjà traité Simenon, Pierre Assouline publie un Autodictionnaire Proust où l'homme et l’œuvre se retrouvent rangés dans l'ordre alphabétique, chaque entrée étant traitée par Marcel Proust lui-même. Dans ses livres ou dans les textes annexes - la très riche correspondance éditée par Philip Kolb est, en particulier, très utilisée -, Assouline puise la matière d'un livre passionnant, qui donne envie de retourner aussi vite à la Recherche, ainsi qu'il la nomme pour ne pas en répéter chaque fois le titre complet.
Sur lui-même, sur l'écriture, sur ses passions, sur sa maladie, sur le monde qui l'entoure, Proust retrouvé est un pur bonheur. On constatera, entre autres choses, qu'il s'intéresse parfois, bien qu'avec un esprit critique, à une littérature très éloignée de la sienne, par exemple à H.G. Wells. Il écrit à Mme Léon Yeatman en 1902:
Je voudrais que vous n'ayez pas lu pour pouvoir vous en distraire d'assez mauvais mais très amusants livres d'une sorte de Jules Verne anglais qui s'appelle Wells.
Dans une longue préface, Nul n'est moins mort que lui (titre emprunté à l'abbé Mugnier), Pierre Assouline refait, sans pédanterie, un parcours avisé parmi les multiples approches tentées autour de l'homme et de son œuvre. Je ne lui reprocherai, et encore, sans insister, qu'une chose: les quelques pages consacrées à Cees Nooteboom n'avaient peut-être pas leur place ici bien qu'elles se raccrochent de justesse au sujet de l'Autodictionnaire.
Les livres d'Annie Ernaux ne sont généralement pas très épais, mais elle y frappe fort, du côté de la vie. Ecrire la vie, c'est précisément le titre du volume qui rassemble une partie de sa production. Et l'on s'aperçoit qu'un bon millier de pages donnent à peine la mesure d'un travail poursuivi avec une belle constance depuis ses débuts en littérature. Une littérature âpre, moins exhibitionniste qu'on le dit parfois - rien à voir avec, par exemple, Christine Angot -, dans laquelle l'écrivaine fouille les souvenirs personnels pour en faire émerger le frémissement des corps et des cœurs, et y réussit si bien que Les années, en 2005, rompant avec sa propre intimité pour ouvrir plus largement le registre, s'est imposé comme une merveilleuse évocation d'une époque partagée par plusieurs générations. Annie Ernaux n'est donc pas limitée à elle-même...
Une anecdote, en passant. Il y a une vingtaine d'années, déjeunant avec Annie Ernaux dans un restaurant bruxellois, je découvre à la carte des pieds de porc panés, dont je cherche à lui faire partager le goût. Influencée par un représentant de sa maison d'édition, elle a, malheureusement pour elle (et pour moi qui aurais pu noter ses réactions), décliné la proposition...
Et puis, il y a Marguerite Duras, dont les Œuvres complètes sont éditées dans la Bibliothèque de la Pléiade. Elle y a évidemment sa place - même si celle-ci ne sera tout à fait définie qu'en 2014, quand paraîtront les tomes 3 et 4, complémentaires des deux premiers disponibles aujourd'hui.
Ce sont trente années (1943-1973) d'une production abondante, antérieure au gigantesque succès de L'amant, où sa voix singulière se pose, de plus en plus évidente au fil du temps, devenue familière à force d'être retrouvée de livre en livre. Comme c'est le cas pour tous les grands écrivains, on n'a pas lu Duras si on n'a pas lu les livres publiés avant son émergence comme figure populaire dans les années Mitterrand, reconnue par tous.
J'ai réédité dans ce blog Marguerite Duras et son charabia, le texte d'un entretien que j'avais eu avec elle à la parution de L'amant de la Chine du Nord. En le retrouvant, j'avais été surpris, une fois de plus, par la fraîcheur et la liberté de cette vieille dame. Si vous avez la chance de ne pas l'avoir lu encore, je vous conseille vivement d'y aller voir, je ne crois pas que vous serez déçu.
A défaut d'autodictionnaire, j'ajoute un peu d'autopromotion, pour des livres que j'ai intitulés, logiquement, Le journal d'un lecteur. Celui de l'année 1991 (disponible en version papier ou en PDF) reprend cet entretien avec Marguerite Duras, ainsi que d'autres avec des écrivains qui avaient aussi publié cette année-là: Le Clézio, Japrisot, Combescot, Djian...
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