Le roman a beaucoup fait pour la notoriété de Kazuo Ishiguro, surtout quand il est passé par le cinéma. Les vestiges du jour, son troisième livre, avait été couronné par le Booker Prize avant qu’Anthony Hopkins incarne à l’écran le majordome du livre – le «butler». On sait moins que son entrée publique en littérature s’est faite en 1981 par la publication de trois nouvelles dans un ouvrage collectif qui précédait d’un an son premier roman, Lumière pâle sur les collines. Ishiguro revient à la nouvelle avec Nocturnes, un premier recueil personnel très concerté de textes assez longs. C’est un régal.
Le sous-titre, Cinq nouvelles de musique au crépuscule, fournit des indications précises, presque cliniques, sur le livre. Celui-ci regroupe en effet cinq nouvelles qui parlent de musique et de crépuscule – mais parfois au sens figuré, comme dans la vie.
Dans Crooner, un guitariste de rue polonais, qui travaille aux terrasses de Venise avec différents groupes, rencontre le chanteur américain Tony Gardner. Plus qu’une légende à ses yeux: le consolateur de sa mère qui l’écoutait pour oublier les contraintes du régime communiste. Non seulement ce héros lui parle, mais il lui demande de l’accompagner le soir pour la sérénade qu’il veut donner d’une gondole pour son épouse Lindy, sous la fenêtre de leur chambre.
L’honneur est immense.
Et la réalité, cruelle.
Tony Gardner, qui veut relancer sa carrière, doit divorcer pour revenir sous les feux des projecteurs au bras d’une femme plus jeune et plus jolie…
Ironiquement, l’avant-dernière nouvelle remet Lindy Gardner en scène, après le divorce. Elle est la voisine de chambre de Steve, saxophoniste doué mais au visage ingrat. Le producteur de celui-ci l’a convaincu de la nécessité d’une chirurgie esthétique après laquelle le succès ne devrait pas tarder. Lindy et Steve, le visage bandé, attendent la cicatrisation, font connaissance et tuent le temps. Soumis à la loi des apparences qui semble bien supérieure aux vertus du talent.
Comme ces deux textes, les trois autres mettent face à face, dans une relation conflictuelle, l’ambition artistique d’un musicien et les contraintes de l’existence. L’incompatibilité se vit dans la douleur, et parfois la douleur s’apaise provisoirement, quand une complicité s’établit entre deux personnages. Mais la fragilité est une constante des rapports humains tels qu’ils sont décrits ici, vibrant d’un espoir qui ne se réalisera jamais vraiment.
Ishiguro nouvelliste ne décevra pas les lecteurs de ses romans. Il tient la note juste, chaque fois pendant une cinquantaine de pages. Il plonge au cœur des contradictions et, sans chercher à les résoudre, les éclaire d’une forte empathie pour ses personnages. Si bien que l’on sort de ce recueil à la fois bouleversé et apaisé. Une autre contradiction que l’on ne cherchera pas à comprendre.
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