Nicolas Ancion s’attaque à forte partie. Il prend en otage le roi de l’acier en personne, Lakshmi Mittal, l’authentique milliardaire jeté dans un roman comme un vulgaire héros de fiction, ballotté entre une fausse interview et un véritable emprisonnement, placé face à l’amoralité du capitalisme qu’il pratique sans souci de ses employés. Il fallait un culot certain pour entreprendre un tel livre. Il y fallait aussi le talent nécessaire à rendre crédible une improbable aventure parsemée d’hypothèses farfelues et d’événements pittoresques. Le pari était pour le moins risqué. A l’arrivée, pourtant, il est gagné. Sur le rythme d’un thriller pendant lequel on n’aura pas eu le temps de respirer, l’emblématique patron indien s’est presque fait oublier pour devenir plus humain. Cela aussi, c’était improbable…
La colère de Nicolas Ancion aura été bonne conseillère. Le bassin liégeois d’une industrie sidérurgique plusieurs fois sinistrée (jusqu'à ces jours-ci, puisque les hauts-fourneaux, on vient de l'apprendre, vont s'y éteindre définitivement) offre à ses épanchements un décor post-moderne dans lequel un artiste d’avant-garde tente, pour un maigre enjeu – une nomination de professeur qu’il n’obtiendra même pas –, de remuer ciel et terre. Tout cela peut sembler disproportionné. Mais, quand l’espoir est cantonné dans un passé par lequel sont passées des crises économiques et de grosses prises de bénéfices, il ne reste plus qu’à entreprendre des actions hors normes.
Les héros de L’homme qui valait 35 milliards n’ont pas l’envergure de leurs ambitions. Ils sont pathétiques même si leurs gesticulations engendrent la sympathie. Le côté Robin des Bois fait toujours recette, y compris auprès des coulées continues. Mais: «Allez, franchement, Richard, tu croyais que tu pouvais changer le destin? Qu’il suffisait de deux types comme vous pour changer la course du monde?» Le combat semble bien perdu d’avance. Ce qui est peut-être une raison de plus pour s’y investir.
Avec ses armes de romancier, Nicolas Ancion a malgré tout les moyens de changer quelque chose dans la marche de l’époque. Dans sa mésaventure, le richissime industriel Indien aura connu, après la colère, la honte et bien d’autres sentiments désagréables, un moment de compassion. Cet éclair de lumière dans un univers plutôt sombre valait bien les détours pour y arriver. Il n’est pas le seul bonheur à survenir dans le récit. Les autres étaient moins imprévisibles et on sentait venir, le cœur serré comme devant un mélo, une des fins du livre. Car il y en a plusieurs, pour chacun des nombreux acteurs d’un roman aussi grave que burlesque – autre équilibre périlleux, autre réussite.
Si l’on voulait émettre à tout prix un (léger) reproche, il parlerait d’un excès de retenue dans l’écriture. Si Nicolas Ancion se lâche dans les situations, dont certaines donnent lieu à des morceaux de bravoure, la langue reste sagement organisée. Un peu de sauvagerie aurait été bienvenue, surtout quand il s’agit de transgresser la loi. Car, somme toute, c’est un enlèvement, même s’il ne se veut pas bien méchant. La revendication sociale et le geste artistique font un ménage douteux, mais qui incite à tourner les pages.
On se demandera maintenant, après la lecture, si l’intrusion sur le terrain romanesque, à son corps défendant, d’un célèbre homme d’affaires plaira à celui-ci. Après tout, le nom et la fonction ne sont peut-être que de pures coïncidences, comme l’explique un avertissement utile pendant les quelques secondes passées sur cette page – et puis, on l’oublie, bien sûr. Pour y revenir ensuite: «Parfois, on aimerait que les histoires qu’on invente ne soient pas de pures fictions.» Et si c’était vrai?
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