mercredi 23 mai 2012

Le premier roman de Katherine Mosby, déjà une œuvre de la maturité

On aura fait le chemin à l’envers dans l’œuvre de Katherine Mosby : Sanctuaires ardents, traduit en 2010, est son premier roman. Nous en avions lu un autre en 2009, Sous le charme de Lillian Dawes, auquel fut fait un excellent accueil. Celui-ci aurait suffi à justifier l’intérêt pour un livre plus ancien – il a quinze ans. Il y a une meilleure raison encore : les débuts de l’écrivaine n’avaient rien d’hésitant, ils étaient déjà l’œuvre d’une conteuse née, capable d’imposer une femme dans une petite ville où elle n’a pas sa place, et de nous faire vibrer avec Vienna Daniels à partir de son installation à Winsville, en Virginie, jusqu’aux malheurs qui l’accablent ensuite.


Cela avait très mal commencé, quand elle avait voulu peindre la grange en bleu : « Elle était entrée à la quincaillerie Henshaw en demandant de la peinture couleur lapis-lazuli. Il avait fallu cinq questions et quatre personnes à Henshaw pour découvrir ce qu’était le lapis-lazuli – tout ça pour une grange ! » Il n’en faut pas davantage pour faire d’elle une originale. Et bien pire : cette femme est un terreau parfait pour y planter toutes les rumeurs. Elle est socialiste ou communiste, elle ne croit pas en Dieu, elle aime les Nègres, elle fume… D’ailleurs, elle lit, il faut bien que cela lui ramollisse le cerveau !
Ses enfants, Willa et Elliott, ont hérité de la singularité de leur mère. Ils sont livrés à eux-mêmes, expérimentent les contacts avec la nature, ne font que ce qui leur plaît – et leur vive intelligence jointe à une imagination débordante leur permettent de mettre leur existence en scène d’une manière toujours différente.
Le mari de Vienna s’est éloigné un jour sans projet de retour, peut-être lassé d’un excès de fantaisies. Les habitants de Winsville finissent pourtant par se résigner : à leurs yeux, Vienna est une originale ne leur faisant courir aucun autre danger que celui d’être de temps en temps étonnés.
La manière dont Katherine Mosby installe cet espace de liberté à côté d’une bourgade régie par des règles anciennes est tout à fait réjouissante. Il semble qu’une (petite) communauté d’utopistes, nourrie au lait de la raison des Lumières, tente de cohabiter au sein d’un groupe beaucoup plus étendu et sans aucune volonté de changement, ni même de réflexion sur une possibilité de changement.
Mais le roman n’est pas un espace étale sur lequel camperaient des personnages aux positions immuables. On trouve même, chez certains habitants de Winsville, une admiration ambiguë pour Vienna. On observe aussi une évolution dans les attitudes des uns et des autres et, si l’on avait presque oublié l’existence du mari, Willard, il se rappellera à nous par l’intermédiaire d’une nouvelle compagne dont l’irruption marquera la fin tragique du livre. On restera alors sous le choc après avoir été longtemps, dans la fascination.

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