Philippe Delerm ne nous avait pas tout dit des
« plaisirs minuscules » qu’il égrène depuis une bonne douzaine
d’années. De la même manière qu’une rue peut avoir un trottoir à l’ombre et l’autre
au soleil – on traverse ? –, la pureté des petits moments de bonheur est
parfois obscurcie par une pointe d’égoïsme sournois qui circonscrit l’émotion
au périmètre réduit de sa propre personne. On ne partage pas. Surtout pas. Au
contraire : « le meilleur vient
aussi de cette petite mauvaise foi initiale qui tient sa place dans l’alchimie
du plaisir. Aimer ce que les autres ont dédaigné, ce dont ils se méfient. Il ne
s’agit pas tant de jouer l’iconoclaste que de se concilier un pouvoir
d’étonnement personnel. »
Peut-être, au fond, les choses sont-elles meilleures quand
les autres ne l’ont pas. La possibilité de faire une sieste, pour un enseignant
qui ne fait pas cours cet après-midi-là, alors que tout le monde est au boulot.
Ou, au contraire, le travail décalé, celui du dimanche pour les agriculteurs,
par exemple, au risque agréable de perturber le calme auquel aspire le
promeneur. Philippe Delerm se souvient d’avoir, enfant, attendu à la terrasse
d’un café que les membres de sa famille aient terminé leur consommation pour
déguster son diabolo menthe…
On découvre donc ici un auteur presque pervers, attaché à
défendre un territoire dont nous croyions, naïvement, qu’il avait pour seul but
de le partager en le décrivant. « En
fumant le cigarillo, on ne peut s’empêcher de penser que c’est bon pour soi
parce que c’est mauvais pour les autres. »
Pour être honnête, devant les fragments précédents de
Philippe Delerm, j'avais trouvé qu’il s’amollissait. Le charme de La première gorgée de bière n’agissait
plus de la même manière. A force de traquer des instants privilégiés, l’auteur
donnait l’impression de vivre dans une béatitude permanente qui avait tout pour
irriter. Car enfin, pourquoi lui et pas nous ? Qu’avait-il de plus que le
lecteur moyen pour fredonner ainsi son bonheur, sourire aux lèvres ?
Dans Le trottoir au soleil, il
apparaît requinqué. Capable de mesurer la part d’hypocrisie derrière laquelle
il se cachait, et du coup plus proche. Peut-être parce que, à soixante ans, « on a franchi depuis longtemps le
solstice d’été. » Ce qui le pousse à chercher plus que jamais la
lumière – on traverse ? –, mais aussi à ne plus ignorer le trottoir à
l’ombre, sur lequel il aura marché plus souvent qu’il ne l’avait avoué
jusqu’ici. Le voici tout simplement homme parmi les hommes, avec ses
contradictions, ses angoisses, ses troubles voisinant avec le bonheur.
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