L’Oulipo ne serait qu’une
caisse de résonance pour jeux littéraires dérisoires si ses membres n’étaient
aussi de véritables écrivains. Sous l’ombre tutélaire de Raymond Queneau ou de
Georges Perec s’épanouissent ainsi des textes soumis à des contraintes pas
toujours visibles, mais que l’on devine à l’œuvre dans Chamboula, où Paul Fournel pose, en riant sérieusement, des
questions graves et contemporaines.
Le Village Fondamental était
heureux sans le savoir, entre son Chef qui donnait les plus grosses claques,
Chamboula dont la beauté faisait rêver tous les hommes et les ancêtres qui
occupaient le sous-sol. Dans le cycle des saisons, la famine et la mort
n’étaient que des événements sans importance. Puisque les vivants restaient
vivants encore un peu.
Un jour arriva le
réfrigérateur. Ensuite, le téléviseur. Dans la foulée, le Blanc du service
après-vente, illico baptisé SAV, c’était écrit dans son dos. Ainsi s’introduit,
subrepticement, la modernité dans une société qui n’avait rien demandé à
personne, et surtout pas d’évoluer.
Voici le rêve du confort
offert sur catalogue, le mirage de la ville posé devant les yeux et, pour
l’ambitieux SAV, la manne du pétrole surgie du territoire des ancêtres.
Sacrilège ! Mais le respect s’est rapidement perdu, les valeurs se sont
écroulées. Il ne resterait plus rien du monde ancien si Chamboula n’avait
toujours la plus belle paire de seins, la plus belle paire de fesses du monde.
Et la tête sur les épaules, quoique parfois poussée par une autre partie du
corps quand elle décide de tâter du Blanc. Un moment d’égarement…
Toujours est-il que Chamboula
se révèle posséder, outre la beauté, la sagesse. Ce qui lui vaut, probablement
en hommage à ces deux qualités, de donner son titre au roman.
Face à cette figure de la
stabilité (ou presque), Boulot, comme on appelle le premier jeune du Village
Fondamental à avoir été engagé par SAV, est l’élément mobile par excellence. Il
est prêt non seulement à apprendre mais aussi à chercher ailleurs l’essence
même d’un progrès qui, chez lui, semble apporter surtout la désolation.
On vous raconte ça comme si Chamboula était construit à la manière
d’un récit classique avec un début, un milieu et une fin. Un début, oui. Une
fin aussi. Entre les deux, les choses se compliquent. Quand Boulot monte en
passager clandestin dans le train d’atterrissage d’un avion pour gagner la
France, la scène se reproduit presque à l’identique un peu plus loin. Tout est
dans le « presque » : des variations commencent à se produire
dans le scénario, des éléments d’incertitude entrent en jeu et plusieurs pistes
s’ouvrent devant le lecteur, comme autant de pièges posés par le romancier.
Toutes les hypothèses sont
plausibles et plaisantes. L’écrivain pose ses cailloux, par séquences de deux
pages en moyenne. Nous les suivons, puisque le charme de l’écriture opère au
rythme d’un sautillement cocasse. Curieusement, nous ne nous égarons jamais.
Peut-être parce que Chamboula est toujours là. Ou parce que le plaisir est tel
qu’il aiguise l’attention.
Un
tour de force et un moment de bonheur.
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