mardi 12 juin 2012

Retour de Saint-Malo et d'ailleurs

Il fut long, ce périple franco-belge de quatre semaines. Moins en raison des distances couvertes - de l'ouest de la France à l'est de la Belgique, quand même - que de la densité des journées et de la multiplicité des rencontres. Je reprends, après un lundi passé à reprendre mes marques, le fil normal du temps, avec pour (re)commencer ce blog, une évocation du festival Étonnants Voyageurs, sous le soleil malouin du week-end de Pentecôte.


C’était la vingt-troisième fois, cette année, que Saint-Malo accueillait le festival Étonnants Voyageurs, dans un foisonnement d’écrivains et d’artistes venus rencontrer un public lui aussi fidèle au rendez-vous.
Infatigables, les mouettes prennent en enfilade les rues de Saint-Malo, à quelques mètres du sol. La nuit, elles semblent veiller sur la ville pendant que dorment les Étonnants Voyageurs. Ceux-ci ont été soumis à rude épreuve pendant tout le week-end de la Pentecôte. Les cadences infernales des signatures, rencontres, débats et autres spectacles ont eu raison des enthousiasmes les plus fervents. Dimanche, Dinaw Mengestu (Ce qu’on peut lire dans l’air) a ainsi passé la matinée à bâiller entre deux dédicaces.
La plupart des auteurs prennent malgré tout leurs obligations avec le sourire. La vingt-troisième édition d’Étonnants Voyageurs, inaugurée samedi sous le soleil, à peine gâchée le même soir par un orage, a conservé l’esprit aventurier et festif que Michel Le Bris a insufflé dès les débuts. Il ne s’agit pas que de vendre des livres. Il s’agit aussi et surtout de prouver comment le monde s’ouvre dans les pages où les écrivains le racontent. A en juger par les queues formées le matin à l’entrée du Palais du Grand Large et du Salon ainsi que par la cohue à l’intérieur des salles, l’idée a été une fois encore comprise et partagée.
Alexis Jenni, prix Goncourt 2011 avec L’art français de la guerre, observe toute cette agitation avec le sourire en coin de l’habitué qui a déjà tout vu. Inconnu il y a un an, à la tête de quelques manuscrits refusés et d’un premier roman qui allait connaître un destin exceptionnel, il est maintenant de toutes les manifestations littéraires. « Je n’ai pas un week-end libre avant le 20 septembre », dit-il en ajoutant que cela ira un peu mieux quand ses élèves auront passé le bac. Car il a continué à assurer ses cours de SVT, même s’il reconnaît qu’il avait parfois la tête ailleurs. Et il ne rêve que de trouver le temps de se remettre à écrire vraiment.
Au hasard des déambulations, on croise Ian Rankin, auteur écossais de polars et créateur de l’inspecteur Rebus. Jacques Darras, poète du Nord de la France, qui s’emballe à l’idée de l’épopée. François Garde, Goncourt du premier roman, une fleur blanche derrière l’oreille, en grande conversation avec des lecteurs. A Lionel Trouillot, une dame demande si elle a fait le bon choix en achetant La belle amour humaine. Rithy Panh offre L’élimination à un policier à la retraite qui s’occupe de femmes violées et qui, faute de réussir à refuser ce cadeau, en acquiert un autre exemplaire. Bruce Machart et David Vann se côtoient sous l’œil satisfait d’Oliver Gallmeister, leur éditeur. Plus loin, c’est Anne-Marie Métailié qui couve les auteurs de Dernières nouvelles du Sud, Luis Sepúlveda et Daniel Mordzinski, celui-ci photographiant les visiteurs.
Un peu partout, dans des débats ou sur les stands, des Belges, beaucoup de Belges, jusqu’à Franquin qui n’est plus là pour voir l’exposition en hommage à son talent. Ils parlent de surréalisme et de fantastique, cherchent à définir leur étrange pays, dessinent une ville de Bruxelles européenne, affichent leurs illustrations, n’oublient pas qu’on ne leur rendra pas le Congo – et tant mieux. Un espace les regroupe, épisodiquement, au Salon. Puis ils s’éparpillent dans la ville, intra-muros, à l’ombre des remparts. Parfois pour y donner un spectacle comme La nuit de la Belgique sauvage ! – et tant pis. Car, s’il s’agissait d’offrir une « sarabande déjantée » comme l’annonçait le programme, il était plutôt question, à en juger par les deux dernières heures, d’une interminable pochade durant laquelle l’intelligence hurlait, de plus en plus fort mais sans jamais être entendue : au secours ! Les rires venus de la salle masquaient mal l’indigence d’une soirée pendant laquelle le mauvais goût n’est jamais parvenu à être autre chose que du mauvais goût, quand certains aimeraient le voir admiré comme un art.
Cette fausse note est, heureusement, passée presque inaperçue (sauf au sein de la délégation belge, qui en discuta longuement) dans la masse des activités d’Étonnants Voyageurs. Cap sur la vingt-quatrième édition, lors du week-end de Pentecôte 2013.

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