On ne dira pas, en tout cas, que les prix littéraires de cette année ont été, dans leur majorité, insensibles à la langue des romans qu'ils ont couronnés.
En reprenant la moitié du palmarès 2015 du Prix de Sade qui avait été attribué le 24 septembre, le Prix de Flore salue peut-être, avec le premier roman de Jean-Noël Orengo, La Fleur du Capital, la description ou plutôt les descriptions du lieu de perdition, ou souvent décrit comme tel, qu'est Pattaya. Cinq personnages, cinq parcours, cinq parties.
Mais, à coup sûr, le Prix de Flore, dont les membres du jury ont mieux que moi trouvé le temps de lire ce gros pavé, ont dû aussi être séduits par une écriture qui tranche avec la monotonie stylistique de bien des livres.
La preuve par le début du prologue, à chacun de voir s'il est tenté d'aller voir plus loin.
«Marly» pourrissait lentement dans la fiction que les autres se faisaient de lui. Depuis son enfance, il était la proie d’histoires invraisemblables dont les narrateurs pouvaient être n’importe qui, un passant qui le regardait comme lui ne se regardait pas, un ami dont il devenait brusquement l’ennemi, un chien flairant en lui une odeur qui n’était pas la sienne et qui aboyait. Les récits n’étaient jamais à son avantage, il était toujours préposé aux mauvais rôles, ceux qu’il n’aurait pas choisis, les fins de parties et les queues de pelotons. Ni héros, ni anti-héros cependant, un simple étranger dans une masse informe où se détachaient celles et ceux qu’il aurait pu être. Au début, il avait bien tenté d’imposer quelque chose d’original. on l’avait recalé dès le premier casting, à l’école primaire. Face au public, il se sentait bizarre, absent, incapable de sortir ses répliques au bon moment, quand l’occasion se présentait. Il était toujours en décalage avec lui-même. On attendait quelqu’un, mais ce n’était pas lui. et si c’était lui, on voulait qu’il soit un autre. Alors, il changea d’attitude. Il ne résista plus. Il observa. Se mettre à la place des autres. Il garda pour lui ses meilleurs textes. Il se mit à rejouer indéfiniment les scènes qu’il avait gâchées. Scènes 1, 2, 3, 20. Actes X, Y, Z. et les intermèdes, les préludes, les décors. Tout un théâtre mental. Il avait découvert ça par hasard, et très vite, tout s’était mis en place, une architecture intérieure bien à lui, un lieu à l’abri, avec ses lustres, ses galeries profondes, étroites et sanguines, parfois chapeautées de voûtes aux clés desquelles brillait une ampoule. eurêka en sous-sol. Théâtre mental.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire