Les derniers prix littéraires de la saison puisent des arguments chez des écrivains venus de loin. Nathalie Azoulai avait réveillé des échos raciniens dans le jury du Médicis, Pierre Senges a secoué le jury du Wepler-Fondation La Poste à coups de baleine blanche melvillienne...
Je suis très malheureux, pour tout dire j'ai même un peu honte de n'avoir pas lu encore (heureusement, la rentrée de janvier prochain laisse une huitaine de semaines de répit pour compléter les lectures manquantes de la rentrée) Achab (séquelles), qui avait pourtant déjà reçu le Prix de la page 111 - mais je fais un blocage dès qu'on teste un livre sur une seule page ou qu'on lui donne un prix sur la même base étroite, pyramide inversée qui risque bien de se casser la figure si la pointe et ce qui la surmonte ne sont pas soutenus par quelque chose de plus sérieux, c'est-à-dire une lecture complète de l'ouvrage. Ce qui, dans le cas qui nous concerne, entraîne à 624 pages, pourquoi pas? Je revendique l'extension du domaine des journées de lecture, ce sera tellement plus simple.
A défaut de vous dire ce que j'en pense, et malgré un a priori favorable - ce que j'ai lu de l'auteur, ce que j'ai lu de ce que d'autres ont écrit sur le livre, ce prix qui n'est pas, cette fois, attribué sur une seule page -, je vous en glisse subrepticement les premières lignes.
Acharnement et clapotis – le naufrage selon les rescapésMoby Dick, vous connaissez ? la baleine blanche, les clapotis, le monstre apparu, disparu, éclaboussant chaque fois qu’il se cache – d’ailleurs, toute cette histoire de chasse terminée par un drame, ça vous rappelle quelque chose ? les personnages, les figurants, les accessoires, les clous forgés et les clous découpés. Et le décor ? l’inévitable décor d’océan se donnant comme panorama et comme infini contenant : mille millions (un petit peu plus) de kilomètres cubes d’eau salée mêlée de chair humaine et de poissons en proportions inégales, et là-dedans des harengs frais, des requins-marteaux, des baleines à nez de bouteille et des marsouins hourra, des baleines à tête d’enclume, des poissons-clowns, des poissons-chats, des hippocampes comparés quelque part à des allumeurs de réverbère, des bélugas, des huîtres perlières, d’autres qui ne le sont pas, ne le seront jamais, et se sont fait une raison, des baudroies, des encornets, les restes de la croisade de 1212, les théières de vermeil destinées au roi Charles d’Angleterre coulées en 1633 entre Burntisland et Leith – théières suivies dans l’ordre (à travers un fond trouble) de pianos droits, de lingots d’or ou plus sûrement de pioches de chercheurs d’or bredouilles, de pantoufles et chemises de nuit, extraits de naissance, avis de décès, jeux d’échecs, grille-pain, portes tambours, brosses à reluire, jetons de téléphone, bibles traduites en cent vingt langues, Grand Albert et Petit Albert, livres de bonnes manières, banjos, trompettes, harmonicas, fausses couronnes du roi Richard III, casquettes de marin, fraises élisabéthaines, pages brûlées de Nicolas Gogol, buste de Tibère, cafetières italiennes et cafetières américaines, un Catalogue systématique des mammifères marins, des partitions de Jerome Kern, un livret d’Oscar Hammerstein, un gramophone, un Betta splendens (un parmi des milliers), un clystère, le pendentif de Rita Flowers, le diadème du Toboso, une trousse de toilette ayant appartenu à Josef von Sternberg, une autre à Erich von Stroheim, l’épave complète du Chancewell, les images perdues de A Woman of the Sea, les espadons manqués par Hemingway, les habits démodés du signor da Ponte, l’épave du bateau d’Abissai Hyden, tous les ingrédients du cocktail Manhattan hélas trop éloignés l’un de l’autre, des téléviseurs, des machines à laver, un petit traité sur l’immortalité qui n’a pas dû convaincre grand monde, la pique d’un violoncelle et x couronnes de fleurs en hommage aux marins noyés.
Il faudra le lire, mais ça a déjà de la gueule, après quelques lignes, non?
La mention spéciale du Prix Wepler-Fondation La Poste va, elle, à Lise Charles pour Comme Ulysse, ce qui n'est pas non plus étranger à des réminiscences littéraires anciennes. Celui-là, je l'ai lu, j'en ai même regardé les dessins.
Attention :
littérature addictive. Adolescente délurée mais perdue aux Etats-Unis après y
avoir été abandonnée par sa sœur aînée, Lou, ou Loo, ou peu importe comment
elle s’appelle au gré des rencontres, décrit ses expériences au fil d’une
écriture illustrée et libre. Elle coule comme une eau indispensable à la vie,
on se laisse aller aux digressions les plus saugrenues comme si elles nous
appartenaient. Un miracle d’équilibre fragile.
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