Le Monte Grappa ou le « Mont du Jour »
(De notre correspondant de guerre à l’armée d’Italie.)
Front italien,
20 décembre.
Je vais vous
conduire sur le Monte Grappa. Il convient que vous connaissiez cette masse de
terre au même titre que les fleuves ou les autres sommets qu’une passe critique
de la grande guerre a soudainement rendus célèbres. À ce Noël 1917, le
Monte Grappa est pour l’ennemi ce que fut l’Yser. Derrière l’Yser, il voyait
Calais ; en bas du Monte Grappa il vise la plaine, cette plaine chaude et
fleurie qui, déjà au temps des luttes sans canon, faisait rire de joie, devant
les fruits qu’elle lui promettait, le Barbare venu aussi du Nord.
Depuis un mois
et plus, nous voici à la guerre d’Italie. Le matin, les journaux, et le soir,
le bulletin de Diaz, ne nous parlent que du Monte Grappa. Quand, sans doute
pour varier, la phrase débute par ces mots : « Entre Brenta et
Piave », nous ne nous laissons pas prendre au changement, c’est toujours
du Monte Grappa qu’il s’agit, effectivement, deux lignes plus bas ;
continuant son rôle de sommet, il émerge de la note.
À lui seul il
accapare la scène. Les correspondants ne connaissent que lui.
Quittons, par
exemple, Padoue. Vous roulerez pendant une heure dans la campagne vénitienne,
puis vous tomberez sur une vieille ville forte – du temps où l’on était fort et
fier, derrière des murs – c’est une ancienne citadelle qui pour qu’on ne s’y
trompe pas s’appelle Citadella. Vous aurez ainsi la preuve que, de tout temps
dans cet endroit, la descente du Barbare fut redoutée. Puis vous irez treize
kilomètres encore. Une ville s’ouvrira devant vous : Bassano.
Ici vous
respirerez avec délices ; un climat et une vision d’été s’offriront à
vous.
Tout un système de monts
Vous gagnerez
la base de la montagne. Voici le Grappa. Le Grappa n’est pas qu’un sommet. D’où
nous sommes, à cette minute, nous n’en voyons même pas le sommet. Le Grappa est
un système de monts, avec de nombreuses arêtes, de nombreux pics et plusieurs
cols. La première et large masse de terre qui forme l’avancée du Grappa est
rayée de grands traits superposés et audacieux. C’est la route fantastique que
la jeune Italie, successeur de Rome, comme un immense éclair a jeté sur cette
pente. Prenons-la. Ne croyez pas qu’elle soit dégagée. Les grands boulevards en
temps de paix ne sont pas encombrés autant. Ce n’est pas le même monde. Des
camions, avec une adresse digne du cirque, montent et descendent vivement.
En action
Sans
hésitations, les chauffeurs conduisent leur machine. Des cols à la plaine,
chaque jour ils accomplissent ainsi leur travail de sang-froid et de courage.
Ce sont des jeunes hommes sans peur, admirons-les. Et voilà les canons, il en
est qui montent, il en est qui descendent. Le cheval n’étant pas assez sûr le
long de ces abîmes, ce sont les hommes qui les descendent. Les artilleurs,
accrochés à leur pièce, la guident et la retiennent. Visions de vieilles
gravures en pleine guerre moderne. Montons. Camions, autos, canons, régiments,
tout serpente au flanc du Grappa. La défense de l’Italie, aujourd’hui, se
concentre là. Dans toutes les villes du royaume, du sud au nord, la population,
avec anxiété, attend le soir pour connaître le communiqué. Et ce communiqué
qu’à haute voix celui qui a le plus beau timbre, sur la place publique, lit
pour tous les autres, c’est ici qu’il se fait. Voilà le sommet, le seul point
blanc, son capuchon de neige est ajouré par les trous d’obus. Les fusants
éclatent autour de la madone. Les batteries amies beuglent dans les défilés.
Entre ces pics, le son traîne avec un bruit de lourds wagons. Le Grappa est en
action. Montons encore, ce n’est pas là que, présentement, se passe le drame,
c’est à gauche de la madone. Nous sommes bien à un col, un autre le précède.
Regardez, de ce pic-là vous l’apercevez. C’est le col de la Berretta. Là, entre
Allemands et Italiens, furieusement, se joue la partie.
Le Petit Journal, 23 décembre 1917.
Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:
Dans la même collection
Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille
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