Pendant une heure d’attente…
Notre
correspondant de guerre à l’armée française d’Italie nous a adressé, avant les
derniers combats des Sept-Communes, la lettre suivante, dans laquelle, on va le
voir, il prévoyait la formidable pression austro-allemande qui devait se
produire sur le front de montagnes italien.
Front italien, … décembre.
Pour qu’on les
saisisse dans leurs conséquences voulues, les événements présents du front
d’Italie ne veulent pas qu’on les bouscule ni qu’on les regarde à travers une
vitre d’automobile.
Nous avons dit
le désastre, quelques-unes de ses causes : tâtonnement gouvernemental,
misère humaine, propagande pacifiste, fraternisation, illusion de naïf, il en
est d’autres, elles n’ont sans doute pas concouru au malheur avec autant
d’efficacité que les premières, mais, sous la clarté tragique de l’invasion,
elles se dessinèrent menaçantes. Alors que les unes sont de l’ordre moral, les
secondes se rattachent à l’ordre pratique. L’Entente qui n’aurait dû faire
qu’une armée résumant en elle toutes les expériences de la formidable leçon de
guerre, que les peuples, ayant cependant passé l’âge de l’école, les pieds dans
le sang, depuis plus de trois ans se mettent chaque jour furieusement à
apprendre, l’Entente ne s’entendait pas. Non qu’elle ne s’aimât point !
Elle s’aimait, mais chacun chez soi. Quand une de nos nations avait trouvé un
bon procédé pour tuer du Boche et s’en défendre, croyez-vous qu’elle appelait
immédiatement ses autres sœurs pour le leur donner ? Elle ne les appelait
pas !…
Ce que préparent les Allemands
L’Italie fut
donc envahie, et depuis ? Depuis ? voilà :
Les troupes,
ayant vu que lâcher le fusil pour prendre la branche d’olivier et marcher en
chantant vers leur foyer ne leur avait pas rapporté la paix, ont repris la
baïonnette et luttent. Dans l’angoisse de la retraite, plus vite que les
armées, l’esprit public franchissait les rivières. Avec une agilité qui, par
suite de son essence légère, ne peut appartenir qu’à lui, il passait la Piave,
il passait l’Adige, il passait presque le Pô. Qu’il revienne en arrière. Venise
est toujours italienne. La Piave est la barrière. Une main nouvelle qui prend
le commandement, le réconfort moral des alliés qui accourent, le réveil d’un
patriotisme qui montait à mesure que la Patrie diminuait, ont fait se redresser
nos alliés. Ils tiennent. Ils tiennent sur un front qui va subir de grands
assauts.
Ce front a
deux faces : la Piave et la région d’Asiago. La Piave est plus connue,
mais huit jours encore et un autre point va jouer le premier rôle. De la Piave,
dans ce terrain bas coupé de fossés, de lagunes, inondé, les Italiens ont fait
leur Yser. Sur cette ligne, leur amour de leur splendide patrie leur est
remonté au cœur. Là, pour la première fois, ils ont combattu et battu
l’Allemand. Et l’Allemand ne passa pas.
Mais la région
d’Asiago jouera le premier rôle. C’est l’angle critique. Les Allemands, voulant
descendre dans la plaine vénitienne, ont commencé par la dominer.
Ce furent les
combats d’Asiago. Ils prirent Asiago, ce furent les combats du monte Grappa et
du monte Tomba. Nos Mort-Homme et nos Vieil-Armand n’ont pas plus fait frémir
les nôtres qu’au sort du monte Grappa et du monte Tomba n’ont frémi les
Italiens. Pendant dix jours, dans les neiges, attaques et contre-attaques
formidables. Les colonnes autrichiennes et allemandes, voulant s’assurer
l’entrée des vallées, arrivaient en force. Elles ont le plan de pénétrer dans
la plaine par Bassano. Des prisonniers portaient sur eux des ordres réglant
leur arrivée dans cette ville. Et ce plan, ils le mûrissent. Ils ont maintenant
les sommets. Ils sont sur le monte Tomba. Ils tiennent la plaine sous leurs
yeux. Ils défendent farouchement que l’on vienne voir chez eux ce qu’ils
préparent. Quand cinq de nos avions s’élèvent, trente des leurs barrent le
passage. On sait quand même. Dix divisions boches se rassemblent là. Pour couper
toute la Vénétie, pour rééditer leur coup d’octobre, ils concentrent.
Et les Français ? Et les Anglais ?
Alors, et
l’armée française ? et l’armée anglaise ? Où sont-elles ? Ne
sommes-nous venus ici que pour promener dans les plaines lombarde et vénitienne
nos héros de trois années ? Ne sommes-nous venus que pour recevoir des
fleurs, que pour faire sortir aux balcons les femmes italiennes le sourire sur
le visage et la main aux lèvres ? Que pour nous faire appeler sur tous les
murs des communes « frères d’amour et de combat » ? Que pour
dessiner, tout le long de ces campagnes magnifiques, une reconstitution d’une
époque glorieuse ? Pas précisément. Les Allemands concentrent, nous sommes
là. Que faisons-nous ? Bonaparte lui-même, s’il n’en était vexé, en
resterait fort étonné. Il est des leçons qui ne peuvent plus servir et des
ambitions qui ne conviennent pas à tout âge.
Le Petit Journal, 8 décembre 1917.
Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:
Dans la même collection
Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille
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