mardi 9 juin 2020

Le Goncourt recule pour mieux sauter


Certes, il ne faut pas voir des complots partout…
Mais quand même. Je ne comprends pas en quoi la première sélection du Goncourt 2020 reportée au mardi 15 septembre plutôt qu’en tout début de mois – ce qui aurait donc dû être le mardi 1er septembre – peut avoir un rapport avec les explications fournies hier dans un communiqué :
En raison de conditions exceptionnelles de la rentrée littéraire de septembre qui suit des mois de pandémie ayant gravement perturbé les parutions de livres et les ventes en librairies…
Les perturbations, c’est maintenant, à la suite de la fermeture puis de la réouverture des librairies. Elles avaient, à juste titre cette fois, servi de prétexte à l’attribution précoce des prix Goncourt de printemps – autrefois les bourses Goncourt. Même si la manœuvre avait été rendue moins efficace par le couronnement de la nouvelliste Anne Serre dont le recueil, Au cœur d’un été tout en or, ne sortait que 17 jours après l’annonce. Ce qui, à quelque chose malheur est bon, évitait au Mercure de France, l’éditeur, de devoir précipiter le mouvement des rotatives pour imprimer en urgence les fameuses bandes rouges supposées exciter l’envie d’achat.
Mais, s’agissant de la rentrée littéraire, alors qu’il est probable que la vie aura repris son cours à peu près normal à ce moment (on l’espère, du moins), alors qu’elle se prépare avec très peu de différences par rapport aux années précédentes, je vois mal en quoi l’annonce de la première sélection avec deux semaines de recul peut servir le monde du livre.
Peut-être quelques-uns des membres du jury ont-ils réservé des vacances lointaines et tardives en pariant sur la réouverture totale des frontières, et craignent-ils de n’être pas à Paris le 1er septembre ?
Non, soyons sérieux…
S’il y avait quand même, non pas un complot, mais une intention cachée derrière ce changement de date annoncé haut et fort ? Un soupçon me vient à la lecture de la suite du communiqué :
Les romans parus jusqu'à cette date pourront ainsi figurer dans cette sélection.
Il pourrait s’agir d’une phrase anodine. L’avenir (dans plus de trois mois, ça laisse le temps de l’oublier) le prouvera peut-être. Sinon que mon esprit pervers y voit, ou au moins y subodore, une intention cachée que mon sens du devoir m’oblige à vous révéler.
Car quels sont les romans qui paraîtront entre le 2 et le 14 septembre ? Il y en a un paquet. Mais le calendrier des mises en vente, toujours disponible en bas de cette page, est susceptible de vous mettre sur la même piste que moi : les deux romans de la rentrée littéraire des Éditions de Minuit (qui n’ont plus décroché le Goncourt depuis 1999, c’était Jean Echenoz avec Je m’en vais) sont publiés respectivement le 3 et le 10 septembre. Pile poil dans la période de rattrapage que je scrute depuis hier avec un intérêt croissant.
Ils ne sont pas des moindres.
Laurent Mauvignier donne avec Histoires de la nuit ce qui est peut-être son livre le plus ample : 640 pages (je n’ai pas vérifié la longueur de tous les précédents mais je ne me souviens pas d’avoir rencontré un volume comparable dans ceux que j’ai lus). Cela n’aurait aucune valeur indicative si l’exigence que l’on connaît à cet écrivain n’inclinait à penser qu’il lui avait cette fois semblé nécessaire de conduire son roman jusque-là.
Quant à Jean-Philippe Toussaint, qui nous fait retrouver Jean Detrez au sein de la Commission européenne (il était le personnage principal de La clé USB, l’an dernier) dans Les émotions, il est suivi de près depuis assez de temps par la Commission Goncourt pour que l’hypothèse d’une année faste ne soit pas absurde. « Mais a–t-on toujours envie de savoir ce que nous réservent les prochains jours ou les prochaines semaines […] ? », se demande le narrateur…
Donc, Jean-Philippe Toussaint ou Laurent Mauvignier pour le Goncourt 2020 ? Si j’ai raison, vous me remercierez de vous l’avoir soufflé en juin…

P.-S. du même jour, mais dans l'après-midi. Les Éditions P.O.L, où l'on lit très régulièrement ce blog (je n'en sais rien, en fait), n'ont pas tardé à comprendre l'astuce et à reprogrammer Yoga, d’Emmanuel Carrère, dans un premier temps annoncé à la rentrée, ensuite reporté à 2021 et finalement à paraître le 10 septembre, dans le même créneau. Sera-t-il pris d’assaut par d’autres encore ?

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