Journaliste, écrivain, académicien français, Joseph Kessel
est mort en 1979. Son relatif purgatoire aura duré une quarantaine d’années et
la manière dont il en sort est digne d’un homme que l’on dit flamboyant. Il n’y
en a que pour lui, ou presque, dans la presse littéraire cette semaine. Un
dossier du Figaro littéraire, un
grand papier dans Le Monde des livres,
l’ouverture de la séquence livres de Libération
demain, plusieurs pages de Marc Lambron dans Le Point, j’en oublie probablement…
La raison de cette convergence ? Elle ne vous a pas
échappés : la publication, dans la Bibliothèque de la Pléiade, le Panthéon
de la littérature, de deux volumes de ses œuvres, accompagnés de l’album annuel, conçu par Gilles Heuré.
Un (petit) événement, une reconnaissance quasi définitive qui
n’allait pas de soi tant les liaisons entre journalisme et littérature sont si
souvent méprisées – parfois à juste raison, d’ailleurs.
Je n’ai pas eu l’occasion de me plonger dans ces deux
volumes (dont une partie se trouve néanmoins éparpillée dans ma bibliothèque
sous d’autres formes). Forcément, ils ne sont pas arrivés jusqu’à moi. Au
contraire du récit que fait Dominique Missika d’Un amour de Kessel – les femmes lui plaisaient, il plaisait aux
femmes, Germaine Sablon fut l’une de celles qu’il aima, malgré un premier
contact sans flammes : « D’après
la légende, Kessel aurait été trop timide pour l’aborder ! » Cela
correspond peu à l’image (peut-être fausse) que l’on a de lui, et Dominique
Missika nuance immédiatement : « On
n’est pas obligé de le croire. »
Mais je mentirais si je disais que l’ai lu ce récit. Humé,
seulement, parcouru en flânant. Le temps de croiser Jean Sablon, le frère de
Germaine, ou Maurice Druon, neveu de Joseph, futur notable des lettres et
auteur, avec son oncle, des paroles du Chant des partisans.
« Les mots
viennent vite. Jef a les idées, Maurice en fait des vers en jouant avec deux
doigts sur un piano bancal les notes de la musique d’Anna Marly. C’était comme “l’explosion
d’un sentiment qui me travaillait dont je n’avais pas conscience, d’une espèce
de rage, de souffrance et d’admiration pour les résistants actifs”, expliquera
Kessel au micro d’une journaliste de France Culture, quarante ans plus tard. »
En revanche, j’ai lu Hollywood,ville mirage, que rééditent les Éditions du Sonneur. Ou presque lu. Je m’explique.
Un extrait du livre est disponible sur le site. Il m’a plu suffisamment pour me
donner envie d’aller plus loin. Mais, au lieu de demander le fichier du texte,
je me suis tourné vers RetroNews. Kessel, en 1936, était un journaliste connu
depuis des années et il était peu probable qu’il se soit contenté d’écrire sur
la capitale américaine du cinéma sans vendre, avant la parution de l’ouvrage
chez Gallimard, son texte à la presse, où j’avais donc une bonne chance de l’y
retrouver. Peut-être dans une version non définitive, certes, mais avec l’élan
spontané (ou de fausse spontanéité) du reportage.
La recherche était simple, le résultat limpide : le
mardi 9 juin de cette année-là, L’Intransigeant
commence en première page la publication d’un reportage de Josepk Kessel, Hollywood, la ville des mirages.
Les catholiques ont le Vatican.
Les Musulmans ont la Mecque.
Les communistes, Moscou.
Les femmes, Paris.
Mais pour les hommes et les femmes de toutes les nations, de toutes les croyances, de toutes les latitudes, une ville est née depuis un quart de siècle, plus fascinante et plus universelle que tous les sanctuaires. Elle s’appelle Hollywood.
Hollywood !
C’est parti pour dix jours de publication…
Le regard de Kessel sur cette « terre des hyperboles et des surnoms – movieland, filmland,
starland – terre par elle-même dévorée, arrachée à tout » n’est pas tendre.
Il dénonce le règne des producers
pour qui le cinéma est une industrie destinée à faire de l’argent et dans
laquelle l’art compte pour bien peu. Il est devant une machine infernale qui en
effet dévore les siens, fait grande consommation de vedettes, y compris d’enfants,
et pour laquelle les écrivains ou les compositeurs, « même s’ils sont illustres, même s’ils sont payés de 20 à 50 000 francs
par semaine, doivent produire dans
leurs bureaux numérotés. Leur présence est exigée depuis neuf heures du matin
aussi strictement que par un pointage. »
C’est l’usine, où le producer
(un dictateur, écrit Kessel) veille au rendement. Mais alors, pourquoi certains
films sont-ils quand même beaux et émouvants ? « Ce sont des miracles. Des miracles dus à l’inattention du
producer. »
Pour conclure sa série d’articles,
Joseph Kessel reconnaît qu’il s’est « peut-être
montré trop dur envers la ville des mirages. » Dans la livraison
précédente, le récit d’une mésaventure peut fournir un prétexte à la mauvaise
humeur du journaliste-écrivain – le projet avorté d’un film sur lequel il
travaillait avec Charles Boyer. Il préfère cependant fournir une motivation
plus profonde : « Ce n’était ni
mépris, ni haine. Mais plutôt, en vérité, de l’amour déçu. »
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