A l'occasion du Sommet de la Francophonie, Dany Laferrière est invité à Madagascar du 22 au 28 novembre.
Depuis une vingtaine d’années, c’est-à-dire que j’ai pris le train en marche, je lis ses livres. Nous avons aussi parlé à diverses reprises, avec une proximité de plus en plus grande : le premier entretien, en 2008, s’est fait par courriel ; l’année suivante, par téléphone ; et, en 2012, à une terrasse de bistrot à Bruxelles. Les circonstances ont ainsi fait que, le temps passant, l’œuvre et son auteur se sont de mieux en mieux confondus dans mon esprit.
À travers la quinzaine d’articles de tailles variables rassemblés sous le titre Dany Laferrière, une brève introduction, tels qu’ils ont été publiés dans Le Soir, se dessine peut-être, je l’espère, une trajectoire littéraire et humaine à travers laquelle il est possible d’introduire Dany Laferrière auprès de celles et ceux qui l’ont encore peu lu, ou même qui ont encore à le découvrir.
Ce petit ouvrage numérique, dernière production de la Bibliothèque malgache, est actuellement gratuit et le restera jusqu'au 28 novembre.
En voici un extrait - un portrait qui ouvre le livre.
Il y a trente ans déboulait en littérature, armé d’une vieille Remington 22 achetée chez un brocanteur sur laquelle il avait tapé son manuscrit à un rythme rock ou supposé tel, un nègre haïtien installé à Montréal : « je me suis assis devant la machine pour écrire ma première phrase. J’ai attendu la suite tout l’après-midi. […] J’ai passé l’été à écrire avec un seul doigt tout en me nourrissant de fruits et de légumes. J’étais devenu un véritable athlète de l’écriture », dira-t-il plus tard à propos de cette période. Sous le titre trompeur mais vendeur d’un manuel pratique, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, il jetait les bases d’une œuvre littéraire riche à présent d’une vingtaine d’ouvrages. Il ne les prendra pas sous le bras pour être reçu ce printemps à l’Académie française où il a été élu en décembre 2013. Son ambition était de devenir un écrivain américain. Il a fait mieux puisqu’il a pu revendiquer en toute légitimé son universalité, résumée en un titre de roman : Je suis un écrivain japonais.
À Montréal, où il débarque en 1976 pour fuir un régime qui assassinait les journalistes, ce sont les Jeux olympiques et il découvre la grâce de Nadia Comaneci sur tous les écrans. Puis les saisons, et surtout l’hiver. La vie souterraine, la soupe populaire, le travail en usine, la débrouille, un tas de choses qu’il n’aurait pas connues s’il était resté à Port-au-Prince. « Quitter son pays pour aller vivre / dans un autre pays / dans cette condition d’infériorité, / c’est-à-dire sans filet / et sans pouvoir retourner / au pays natal, / me paraît la dernière grande / aventure humaine », écrit-il en vers dans Chronique de la dérive douce.
Déraciné, un peu. Nomade, beaucoup. Dany Laferrière est, en réalité, revenu plusieurs fois au pays natal, ce qui a donné L’énigme du retour puis, après le tremblement de terre de janvier 2010, alors qu’il était là à la veille d’une édition locale du Festival Étonnants Voyageurs, Tout bouge autour de moi. Il y retrouve l’incroyable vitalité de son peuple, en toutes circonstances : « Ces gens sont tellement habitués à chercher la vie dans des conditions difficiles qu’ils porteront l’espérance jusqu’en enfer. »
Il a hérité de cette vitalité, même s’il la masque parfois sous l’apparence de la nonchalance. Journal d’un écrivain en pyjama ou L’art presque perdu de ne rien faire révèlent un vrai bosseur, l’athlète de l’écriture cité plus haut. De l’athlète, il a d’ailleurs la carrure et la présence, partout où il passe. À Bruxelles ou à Antananarivo.
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