Deuxième femme du jour, Yasmina Reza (mon pronostic de ce matin également), reçoit donc le Renaudot pour Babylone.
C’est un roman construit sur des images. Elles sont puisées,
l’une d’entre elles en particulier, dans un album de photographies de Robert
Frank, The Americans, « le livre le plus triste de la
terre » pour la narratrice, soixante-deux ans et une histoire
peut-être encore plus triste à raconter dans Babylone, le nouveau livre de Yasmina Reza. Il tient un peu du Dieu du carnage, une de ses pièces de
théâtre, adaptée au cinéma par Roman Polanski sous le titre Carnage : des personnes plutôt
normales, réputées saines d’esprit, se trouvent emportées par des forces qui
les dépassent et ça dégénère.
Dans Babylone, on
va jusqu’au crime, alors que rien ne semblait l’annoncer. Pas même cette photo
de Robert Frank qui obsède l’héroïne, à laquelle elle reviendra plusieurs fois
et dont la description constitue l’ouverture du roman : un homme en
costume cravate, debout contre un mur dans une rue de Los Angeles en 1955,
distribuant des bulletins religieux dont probablement – ici commence
l’interprétation de la photographie – presque personne ne veut. L’image, venue
du passé, rappelle des souvenirs plus personnels, quand la narratrice avait
dix-sept ans. Les souvenirs ne sont pas tristes. Ce qui est triste, c’est de
penser qu’à l’époque, « on ne savait
pas que c’était irréversible. »
On voudrait continuer avec les images, parce que si on se
met à raconter ce qui se passe dans Babylone,
vous allez comprendre trop vite à quel point ce livre, plus triste que drôle en
effet, malgré des moments assez piquants, est surtout un condensé de notre
humanité paradoxale. Une autre image, donc, plus tard dans la nuit et dans le
roman : cette femme de 62 ans est assise sur l’escalier dans le hall de
l’immeuble, à côté d’un voisin, Jean-Lino, qu’elle aime bien et à qui elle a
emprunté des chaises dans le cours de la journée, histoire de donner une place à
chaque invité de sa fête de printemps. Accessoirement, ils semblent monter la
garde près d’une grande valise rouge. Dans la valise, il y a le corps de Lydie,
l’épouse de Jean-Lino que celui-ci a étranglée quand ils sont rentrés chez eux
après la soirée où tout le monde s’amusait, en apparence. On a l’impression d’y
être avec eux. Sans savoir, pas plus qu’eux, ce qu’il faut faire. Appeler la
police, oui, comme l’avait dit Pierre, le mari de la narratrice. Mais, depuis, Pierre
est allé se recoucher, il dort…
Même romancière, Yasmina Reza reste une formidable
dramaturge, capable de jeter les uns contre les autres des personnages qui
n’ont rien à se reprocher, enfin, pas grand-chose, mais qui sont néanmoins
capables de se retrouver pleurant « aux
rives des fleuves Babylone », et quand même par leur faute.
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