On ne m'a rien demandé, ce n'est pas une raison pour ne pas donner mon avis. Donc, cette nuit et ce matin, j'ai terminé la lecture des derniers romans sélectionnés pour le Goncourt et le Renaudot que je n'avais pas encore ouverts, et je peux donc maintenant, à quelques heures des résultats officiels, fournir des arguments pour choisir. Voici donc, en procédant par élimination.
Le Goncourt ne peut pas aller à Catherine Cusset (L'autre qu'on adorait, Gallimard). Cette femme écrivaine (dans le livre) qui s'appelle Catherine, et dont la vie et l'oeuvre ressemblent beaucoup à celles de Cusset Catherine, observe son ami déprimer et foncer dans le mur. Elle raconte ça à peu près comme si elle établissait une liste de courses à faire. Et elle dit d'elle-même: "J'ai un certain talent pour la description". Ce qui, ici, ne se remarque pas du tout.
Gaël Faye (Petit pays, Grasset) est un candidat à peine plus crédible, malgré l'immense succès de son livre. L'auteur semble sympathique, il m'est encore plus sympathique depuis que j'ai lu, il y a quelques jours, un entretien où il disait voir maintenant tous les défauts de son premier roman. Il était presque le seul, car les éloges sont venus en masse. J'avais nuancé dans un article bref: il y manque quand même une écriture.
Régis Jauffret (Cannibales, Seuil) ne serait pas un lauréat déshonorant. Mais il a déjà donné des livres bien meilleurs que celui-ci, doté certes d'une intéressante perversité dont l'évolution est conduite, dans les rapports entre la mère de Geoffrey et la compagne du même, avec talent. Mais je propose qu'on attende son prochain roman.
Leïla Slimani (Chanson douce, Gallimard) obtient donc ma voix. Un peu par défaut, certes, mais non sans plaisir. J'aime bien que tout y fonctionne à l'envers. C'est un faux thriller dont on connaît le dénouement tout de suite. Le titre est tout le contraire du contenu. La nounou est parfaite, sauf quand elle se révèle un monstre. Et allez savoir pourquoi... Il y a quelque chose de fascinant dans ce deuxième roman.
Le Renaudot ne peut pas aller à Adélaïde de Clermont-Tonnerre (Le dernier des nôtres, Grasset), puisqu'elle a déjà reçu le Grand Prix du roman de l'Académie française.
Il ne peut pas davantage être remis à Leïla Slimani, puisque je lui ai déjà donné le Goncourt (oui, à moi tout seul, et sans demander l'avis des jurés, juste retour des choses).
Je ne vois pas non plus pourquoi je pencherais vers Régis Jauffret après ce que j'ai dit ci-dessus.
Il ne me reste donc plus que deux sélctionnés dans la liste des cinq, et ce ne sera pas Simon Liberati (California Girls, Grasset). Sa reconstitution de la "Famille" de Charles Manson est certes d'une lecture plaisante, même si son souci de la description réaliste donne envie de vomir quand il s'agit des meurtres de Sharon Stone et des autres personnes qui se trouvaient dans la maison de Polanski. Il y manque quand même un minimum de recul - ce qu'on appelle une vision.
C'est donc aussi par défaut, et je m'en désole, que ma voix se dirige vers Yasmina Reza (Babylone, Flammarion). On croise le cadavre - un seul, et il suffit bien - d'une femme qui ne s'est pas retrouvée dans cet état sans l'aide de son mari. Donc un meurtre - un seul. Mais le meurtre et ses conséquences sont vus de biais, et c'est beaucoup plus intéressant, d'un point de vue littéraire, qu'une présentation frontale. L'importance des images, dans ce roman, dit d'ailleurs bien à quel point la vision en est un axe fondamental, au contraire du précédent.
Et puis, il y aura aussi le Renaudot essai (avec en prime, probablement, un Renaudot poche dont on ne sait rien, en l'absence de sélection). Mais je vote pas dans cette catégorie, bien que Poupe, de François Cérésa (Le Rocher), soit un récit d'une fine sensibilité sur la figure d'un père - celui de l'écrivain.
Je n'ai pas assez avancé dans mes lectures des deux autres ouvrages sélectionnés, Le monde libre, d'Aude Lancelin (Les Liens qui libèrent) et Sans oublier d'être heureux, de Marie-Dominique Lelièvre (Stock).
Si le choix du jury devait se jouer entre ces deux derniers titres, il serait éminemment politique. Marie-Dominique Lelièvre écrit en effet une biographie de Claude Perdriel, homme de presse et du Nouvel Observateur dont (devenu L'Obs) Aude Lancelin a été virée, et c'est le nœud de son livre. Deux faces d'un même monde sont ainsi confrontées et Libération rappelait hier une partie de la composition du jury Renaudot: Franz-Olivier Giesbert et Patrick Besson, tous deux du Point, à qui il ne déplairait peut-être pas de faire la nique à L'Obs.
très bien vu !!
RépondreSupprimer