Jean Rolin observe le
monde sous plusieurs angles simultanément. Il est un géographe transversal,
comme dans Un chien mort après lui,
ou il pratique l’épuisement d’un lieu, presque à la Georges Perec – Los Angeles
dans Le ravissement de Britney Spears.
L’espace et le temps se confondent en un voyage (L’explosion de la durite) ou dans la préparation du voyage (Terminal frigo). Il construit, entre
récit et roman, une œuvre caractérisée aussi par l’extrême précision de son
écriture.
Ormuz est un de ses meilleurs livres. Le nom du détroit, par lequel transitent « environ 30 % de la production
mondiale d’hydrocarbures, ou plus précisément de la part de celle-ci qui est
acheminée par la voie maritime », fournit la donnée géographique. Et
même, dans ce cas, géostratégique, comme le prouvent les manœuvres
d’intimidation presque incessantes auxquelles assisteront les deux personnages
principaux, à travers un jeu de « guerre
navale asymétrique » entre, pour le dire vite, l’Iran et les
Etats-Unis. Le prétexte romanesque est fourni par Wax, qui n’est plus de
première jeunesse mais qui s’est mis en tête de traverser le détroit à la nage.
Pas sûr qu’il en soit capable physiquement, moins sûr encore qu’il soit
possible de lever les multiples obstacles diplomatiques qui s’opposent à son
projet. Inutile d’ailleurs d’installer l’artifice d’un suspens qui n’existe
pas, annulé dès les premiers mots : « Après
sa disparition, je me suis introduit dans la chambre de Wax à l’hôtel Atilar
afin d’y inventorier ses affaires. » C’est dit, l’affaire est mal
barrée…
Plutôt que Wax, voué à la disparition, bien que
le doute revienne à la fin, c’est le narrateur qui retient toute l’attention.
Chargé d’aplanir quelques difficultés insurmontables, et qui le resteront, ce
narrateur est une sorte d’assistant chargé de missions ponctuelles, souvent
abandonné à lui-même et à un esprit d’indécision qui lui va bien. D’autant que ces
temps de latence lui permettent d’exercer sa curiosité, le genre de curiosité
qui ressemble à celle de Jean Rolin : une scrupuleuse attention à certains
détails, élus en vertu d’on ne sait quels critères, et beaucoup de flou autour.
On croirait un regard de myope obligé de s’accrocher à ce qu’il voit pour ne
pas perdre pied dans ce qu’il ne voit pas, ou moins bien. Cette manière
d’accommoder sans cesse, comme le fait un œil, fournit à l’écriture un moteur
d’une redoutable efficacité. Toute en pleins et en déliés, en moments compacts
et en creux, elle appelle le questionnement à travers ses failles construites
en labyrinthe. De ce labyrinthe, Jean Rolin a habitué ses lecteurs à ne jamais
sortir tout à fait. Il restera un peu de chacun de nous dans le détroit
d’Ormuz, où nous croiserons Jean Rolin, à moins que ce soit ses personnages.
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