Dans La première pierre, Prix Jean Giono, Pierre Jourde analyse l’affaire
qui a suivi la publication de Pays perdu, en 2003. Quand il revient
au village dont il parlait dans ce livre, l’écrivain, sa femme et ses trois
enfants font face à la colère de quelques habitants qui dégénère en violence, à
la limite d’un lynchage qui aurait peut-être eu les pires conséquences si les
choses s’étaient passées encore un peu plus mal.
Parlant de lui à la deuxième
personne, l’écrivain revient sur l’affrontement qu’une partie de la presse a
présenté comme une rébellion de ses personnages contre celui qui s’était emparé
d’eux. Contre leur gré. En les dénigrant, les diffamant, pensent-ils – ils
citeront comme preuves des citations du livre devant le tribunal, mais ces
citations sont peu convaincantes, à moins de considérer, comme le fera un
journaliste, que le noir est une couleur négative. Ou de comprendre que Pierre
Jourde a parlé d’un « pays de merde » alors qu’il
décrivait « le pays de la merde » (celle des vaches, pour
l’essentiel) avec une affection certaine pour les souvenirs laissés par ces
déjections.
Dans La première
pierre, il raconte donc les événements. Ou plutôt comment il les a vécu,
dans les premiers instants : les mots, la castagne, la peur, les jets de
pierres, la fuite. Puis les plaintes réciproques et la justice. Il cherche à
comprendre où a pu se nicher le malentendu qui a débouché sur ces événements.
Comment la complexité de la littérature, si travaillée soit-elle, échoue
parfois à faire sentir ce qu’elle s’efforce de restituer. Et pourquoi des
réactions aussi violentes. Il est peut-être, probablement, proche de la vérité
quand il explique qu’il a livré un secret sans importance pour lui, mais pas
pour les autres.
« Mais ce langage
de la complexité est toujours menacé par la sécheresse, la complaisance, le
narcissisme ou le pittoresque, ce pittoresque que tu voulais à tout prix éviter
en écrivant le livre. Il a besoin de se replonger dans la source de silence et
d’obscurité, où les choses n’ont pas encore pris leurs formes, où l’être n’est
pas encore l’être, et tient repliés contre lui le passé et l’avenir, dans la
quiétude de ce qui n’est pas. Le secret est ce vide intérieur où le dire trouve
son énergie. Le langage littéraire, dans l’idéal, pourrait être celui qui, dans
la révélation, préserve l’obscurité du secret. Ramène Eurydice au jour avec
toute l’épaisseur de l’obscurité dont il la tire. »
Un livre – un livre ! – a provoqué des
vagues disproportionnées. Un autre livre tente d’en expliquer l’origine. Dans
le travail sur la langue qui fait toute la singularité de l’œuvre de Pierre
Jourde.
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