Le 4 décembre 1914, six
poilus ont été fusillés « pour l’exemple », accusés d’avoir, une
semaine plus tôt, avec quelques autres, abandonné leur poste devant l’ennemi.
Justice expéditive, justice injuste aussi puisqu’ils ont été réhabilités en 1921.
Parmi les condamnés, Jean Blanchard, cultivateur. Avant de passer devant le
peloton d’exécution, il terminait ainsi sa dernière lettre à sa femme : « Au revoir là-haut, ma chère épouse. »
De ces mots, Pierre Lemaitre fait le titre d’un roman inattendu pour ses lecteurs
qui connaissaient sa manière noire : Robe
de marié, Alex, etc. En
abandonnant la littérature de genre, l’auteur n’a rien perdu de ses qualités.
Au contraire, il les magnifie en dotant son livre d’un souffle puissant qui
conduit ses deux personnages principaux de la guerre à l’arnaque. Et le
romancier vers le Goncourt, obtenu en novembre 2013.
S’il faut garder à
l’esprit le titre et son contexte, le récit commence en novembre 1918, alors
que la guerre est sur le point de s’achever. Les ultimes jours des combats ne
sont pas perdus pour tout le monde : Pradelle, ou plutôt le lieutenant
d’Aulnay-Pradelle, qui donne l’impression d’être une sombre crapule consciente
de son pouvoir, engage ses hommes dans un combat inutile. Ou plutôt :
utile exclusivement à son avancement. Il ne recule devant rien pour pousser la
troupe contre l’ennemi, comme le découvre Albert Maillard en tombant sur les
cadavres des éclaireurs envoyés à la boucherie : les balles les ont
frappés dans le dos. Albert ne s’éternise pas. Pradelle l’a vu s’arrêter près
des corps et les obus pleuvent. Albert est enterré dans un trou noyé sous une
gerbe de terre, Edouard Péricourt parvient à le sortir de là avant d’être
lui-même gravement blessé et le destin des deux survivants, qui se connaissaient
peu auparavant, est dès lors inextricablement lié par leur sauvetage mutuel.
Le conflit s’achève, les
soldats éprouvent les plus grandes difficultés à retrouver leur place dans la
société. Albert, sous l’influence d’Edouard dont le cerveau est sorti de la
guerre aussi abîmé que le corps, met au point avec lui une affaire juteuse qui
devrait leur apporter la fortune au détriment, il est vrai, de la mémoire des
victimes : susciter des commandes de monuments aux morts par les mairies,
encaisser les avances et se tirer très loin avec l’argent. Ce n’est pas très
moral. A moins de considérer cette arnaque comme une revanche sur
l’exploitation du sentiment patriotique qui a envoyé les hommes au casse-pipe
sans se soucier des conséquences. Ce serait alors un juste retour des choses…
La guerre est une saloperie, c’est entendu et
Pierre Lemaitre le rappelle dans les premières pages de son roman. Elles ont
les couleurs de la mort et de la crasse, les odeurs de la pourriture qui
envahit les champs de bataille. Mais l’après-guerre peut être une saloperie
aussi, en même temps que la source d’un livre scénarisé avec talent et écrit
avec force. On ne le lâchera pas avant la dernière page.
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