La bibliographie de Philippe Delerm occupe plusieurs pages.
Avec, dans l’ordre chronologique, un sixième livre paru en 1997 qui reste celui
dont on lui parle le plus tant son succès a été spectaculaire : La première gorgée de bière et autres
plaisirs minuscules. Dix-huit ans plus tard, c’est encore de cet ouvrage
qu’on a d’abord envie de lui parler, pour savoir si, à force, il n’est pas
irritant de se voir ramené toujours à un seul titre. Philippe Delerm est
serein : « J’aurais mauvaise
grâce à me plaindre du fait qu’on me parle toujours de La première gorgée
de bière car ce livre a fait connaître
tous mes livres précédents et permis de construire une carrière
d’écrivain. »
Des « plaisirs minuscules », qu’il a appelés aussi
« nourritures délectables », « voluptés sportives » ou
« petites phrases qui en disent long », l’écrivain en récolte sans
cesse, de quoi donner de temps à autre la matière d’un volume. Et de fournir
des pages qu’il glisserait dans un roman ? « Non ! Je n’insère pas des “fragments courts” dans mes
romans car les atmosphères sont liées à la nécessité de l’histoire en
cours. »
Philippe Delerm, en connaisseur de l’athlétisme, module le
souffle en fonction de la distance à couvrir. Souffle court pour les fragments,
souffle long pour un roman comme Ellemarchait sur un fil. Comment le genre s’impose-t-il ? « Le choix d’écrire un roman est un
projet que l’on porte longtemps en soi. C’est particulièrement vrai pour Elle
marchait sur un fil qui réunit des problématiques
qui m’ont accompagné toute ma vie. »
Marie, « elle » dans le titre, attachée de presse
free-lance pour l’édition parisienne, est une femme libre – malgré elle.
L’homme de sa vie l’a quittée et elle se demande si elle ne se prépare pas un
avenir semblable à celui qu’elle voit chez les joueuses du casino, avec un
emploi du temps sans aucune surprise, le jour suivant ressemblant au jour
précédent, jusqu’à la fin. Pour la distraire de l’ennui, elle compte un peu sur
son amie Agnès, qui a ouvert une galerie de peinture-salon de thé sur le port
breton de leurs étés. Et encore davantage sur sa petite-fille Léa, sur qui elle
pourra peut-être reporter les espoirs de carrière artistique que son fils a en
partie abandonnée.
Au fond, Marie est disponible pour un nouveau projet. Cela
convenait au romancier qui aurait pu exploiter les manques ressentis par son
héroïne : « Je n’ai pas cherché
à fouiller une blessure mais à donner à Marie, mon personnage, une solitude qui
lui permette de tenter de réaliser le projet artistique fondamental qu’elle
porte en elle. »
Elle rencontre des jeunes qui veulent monter un spectacle,
un élan la pousse vers eux, vers l’écriture, vers un soutien qui devient
investissement total. Au point qu’elle abandonne en cours de route une romancière
dont elle a lancé le premier livre devenu un succès annoncé. Plus rien ne
compte que de réussir le spectacle, trouver une salle, un public, garder la
cohésion du groupe… Voilà, elle s’est trouvé un support pour ses réserves
d’enthousiasme. Qu’en restera-t-il si le projet échoue ? « Il y a un risque très grand à vouloir
s’épanouir en réalisant ses rêves. C’est tout le sujet de ce roman dont la
fragilité du fil est la métaphore », explique Philippe Delerm.
Tirerons-nous une morale de cette histoire ? L’auteur
ne le souhaite pas : « Mon
regard n’est pas celui d’un moraliste mais, je pense, celui d’un humaniste qui
pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. »
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