Le Prix Décembre va cette année, je félicite le jury, à l'excellent récit amical de Michaël Ferrier, François, portrait d’un absent.
A l’ami disparu, Michaël Ferrier offre un tombeau de
papier : « La littérature est
l’art du deuil par excellence et, dans sa fragilité même, le papier est supérieur
au marbre. Pourtant, quel travail de ténèbres il faut pour l’extraire, ce
livre… C’est un tombeau, il faut le rendre à la fois aussi grave que le marbre
et aussi léger que le ciel. » François est mort noyé avec sa petite
fille Bahia. Jérôme, l’autre membre depuis l’adolescence du groupe amical, l’apprend
par téléphone à Michaël qui vit au Japon. Et qui écrit François, portrait d’un absent.
Le titre rappelle celui d’un film documentaire que François
avait consacré à un SDF : Thierry,
portrait d’un absent. Il est en partie décrit ici, comme une œuvre d’une
grande délicatesse, sans voyeurisme alors qu’il était facile de tomber dans ce
travers. Ces qualités se retrouvent dans le livre : on sait tout de
François, et en même temps on ne sait presque rien de lui tant les bribes de
biographie sont posées avec le sens le plus aigu de cette amitié devenue
douloureuse, et que rien n’explique.
Sinon le mot de Montaigne ajouté par l’auteur des Essais à son exemplaire imprimé.
Celui-ci, à propos de ce qui liait l’auteur et La Boétie, avait écrit : « Si on me presse de dire pourquoi je
l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer. » Puis Montaigne
transforma la fin de la phrase : « je
sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui,
parce que c’était moi. »
Michaël Ferrier, lui aussi, cherche à expliquer l’amitié et
n’y parvient pas davantage que Montaigne à qui il fait donc, à raison, appel.
Non sans s’appuyer sur le souvenir des moments partagés, en particulier deux
années dans les classes préparatoires du Lycée Lakanal, « une splendide ruche champêtre dédiée à l’étude, une enclave de
tranquillité studieuse. » Le narrateur avait dix-sept ans, François
était son voisin d’internat. Avec qui il a vécu d’une façon qui « stupéfierait immédiatement toute
personne un peu convenable. » On n’en dit pas plus, il y a quelques
grands moments à découvrir.
Car, pour être un livre de deuil, François, portrait d’un absent est aussi un livre à l’enthousiasme
contagieux. L’ami est mort, mais ce qui a existé quand il était là continue
d’infléchir la pensée avec une force impressionnante : « le texte ne forme pas le cadre d’un
souvenir, mais l’ouverture d’un espace : c’est une sorte de brèche où le
temps circule, où la mémoire se réveille et bondit. » Et c’est beau,
très beau.
Par ailleurs, le Prix de Flore couronne Anatomie de l'amant de ma femme, de Raphaël Rupert, paru à l'Arbre vengeur - que je n'ai pas lu.
Oui cela m'a rappelé la plaque que j'ai vue fin octobre 2018 devant la belle plage Playa de Conchas relatant cet enlèvement par l'océan de François et sa fille. J'ai pensé à eux. Didier dadapou@gmail.com
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