Demandez un nouveau livre à
Dany Laferrière, comme il raconte que le fait l’éditeur de son personnage, il
vous invente un titre comme un magicien sort un lapin d’un chapeau. Cela aurait
pu être : « Le plus rapide titreur d’Amérique », pour reprendre
un mot de Kurt Vonnegut Jr., probablement hors contexte puisqu’il l’était
toujours. C’est sur cette idée que commence Jesuis un écrivain japonais – une idée de titre, donc.
Après cela, il reste à écrire.
Pour trouver le ton, le narrateur, double imaginaire de l’écrivain, accompagne Bashô
sur La route étroite vers les districts
du nord. Il le lit dans le métro, dans des bars, un peu partout. Il cherche
à rencontrer une Japonaise, aussi. Il suit l’idée sans savoir où elle va le
mener. Sur des chemins de traverse, à coup sûr. Dany Laferrière (ou son
personnage) cultive l’art de la digression à la manière dont d’autres soignent
leurs bonsaïs. Avec autant de précision. Rien n’arrive par hasard. C’est donc
un Coréen qui lui signale la présence à Montréal d’une chanteuse japonaise,
Midori. Dans les toilettes du café Sarajevo, où se donnent des spectacles en
forme de happenings, il y a une photo de Midori. La piste se concrétise. Autour
de Midori gravitent un groupe de jeunes femmes et un photographe ambigu. Beau
matériau pour un romancier.
Celui-ci se complaît dans
l’exploration d’un univers qu’il ne connaissait pas, mais sans l’utiliser
vraiment. Le livre n’avance pas. En revanche, on en parle jusqu’au Japon. Un
employé de l’ambassade du Japon, qui a entendu évoquer le projet, s’en est
emparé pour construire un véritable feuilleton devenu immédiatement populaire. « C’est bien d’écrire un livre, mais
c’est parfois mieux de ne pas l’écrire. Je suis célèbre au Japon pour un livre
que je n’ai pas écrit. »
Un roman en creux, donc. Un
formidable roman en creux. Dany Laferrière utilise tout ce que néglige son
personnage pour lui bâtir une fiction à sa mesure, dans un monde réel plutôt
hostile. La célébrité n’a pas que des bons côtés : quand une horde de
touristes japonais commence à faire la queue devant son appartement, il n’a
d’autre solution que de s’enfuir et de se nourrir à la soupe populaire –
jusqu’au moment où il rencontre un ami d’enfance dont la femme est, on vous le
donne en mille, japonaise (pour moitié).
A la base, il y a un
malentendu : on a pris pour argent comptant ce qui était quasiment une
boutade. Au maximum, un titre sans contenu. Le narrateur n’a jamais voulu être
un écrivain japonais. D’ailleurs, explique-t-il, « Je n’écris jamais sur autre chose que sur moi-même. »
(On croirait entendre Laferrière.)
Le jeu
des illusions est brillant, en tout cas. Et révélateur d’une dictature sous
laquelle nous vivons. Celle de la surface, des apparences.
Le désir de briser les clichés, de changer d’origine, est-il à la base de
ce roman ?
Bien sûr, mais ce n’est pas assez pour faire un livre. C’est surtout un
vieux rêve d’enfant que de vouloir être quelqu’un d’autre, le plus éloigné de
ce qu’on est.
Je me sens d’abord un lecteur. Je souris en me rappelant mes premières
lectures. Je lisais, à l’époque, uniquement pour sortir de moi-même, de mon
ordinaire grisaille (j’ai eu une adolescence pluvieuse et fiévreuse). Je
plongeais en grelottant dans le roman. Et j’écris aujourd’hui pour effacer de
mon écran les notions de race, d’origine, de classe, de genre même. Le livre
est un espace de liberté. Un pays rêvé où l’écrivain et le lecteur se
rencontrent. Joli coin, n’est-ce pas ?
Vous parlez longuement des titres de livres. Préexistent-ils chez vous à
l’écriture, en général et dans ce cas particulier ?
Je vous réponds en deux temps. D’abord non.
L’écrivain se sert de sa vie pour inventer sa fiction. Plus c’est proche,
moins c’est vrai. Il reste le mystère de la cuisine. On jette dans une
chaudière d’eau bouillante quelques légumes, des épices, un morceau de viande,
et le goût final est différent de celui de chacun des aliments. L’idéal serait
de ne pas pouvoir distinguer le goût singulier des légumes, et même de ne pas
chercher à le faire.
Puis, oui.
Pourquoi ? Parce que depuis une trentaine d’années, j’ai remarqué
qu’on prête beaucoup attention à ce qui se passe dans la cuisine. Comment cela
se passe ? Pour ma part, j’ai toujours trouvé le titre d’abord. Parfois
des années avant même le sujet du livre. Le titre attend calmement son livre.
Et c’est pour cette raison que j’ai eu envie d’écrire un livre sur ce thème.
Le « je » est-il un jeu entre fiction et réalité ?
La première fois que j’ai écrit une histoire, j’avais treize ans, et cela
racontait un peu ma vie d’alors. Et l’histoire était centrée sur ma sœur. Je ne
suis pas devenu un journaliste corrompu qui vendait sa plume au plus offrant.
J’avais plutôt compris l’importance de la fiction sur la vie des gens. Et
depuis, je n’ai vu aucune différence entre la fiction et la réalité. Tout ce
qui traverse mon champ de vision devient de la fiction. Vous me demandez la
part du vrai dans ma fiction ? Je ne sais plus. Je me sens tissé de tant
d’histoires que je me demande si mon destin n’est pas d’être un roman plutôt
qu’un écrivain.
Est-ce le roman d’un roman qui n’existe pas ?
C’est pour dire que tout existe, surtout quand
on prend la peine de le dire en 265 pages. Je voulais faire un pied de nez au
sujet un peu surestimé à mon avis. Mais ça aussi c’est un sujet. Et l’un des
plus forts puisque le vide est au cœur de notre existence. La vie est aussi
faite de fantaisie. Et s’il me prenait l’envie d’être un écrivain belge ?
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