L'une, Leslie Kaplan, a publié près de vingt livres, dont le dernier, Millefeuille, a reçu hier le prix Wepler/Fondation La Poste. L'autre, Jakuta Alikavazovic, en est à son quatrième, La blonde et le bunker, mention du même prix. Deux lauréates qui confirment décidément la belle tenue des prix littéraires cet automne.
Leslie Kaplan tourne autour d'un étrange personnage, Jean-Pierre Millefeuille le bien nommé. "Un vieux monsieur, grand, bien mis, portant beau comme on dit dans Balzac, souvent là en train de lire son journal, de rêver. Pas timide, plutôt bavard."
Chez lui, beaucoup de passage. On y parle volontiers littérature. D'ailleurs, il prépare un article sur Shakespeare et les Rois ainsi que, avec des amis, un manuel sur l'art d'enseigner la littérature. Millefeuille est un retraité très occupé. Au point de ne pas trouver le temps de lire le premier chapitre d'un manuscrit que lui avait confié, pour avoir son avis, un de ses jeunes amis. D'où il naît, dans leur relation, un peu de gêne. Et l'on s'aperçoit que, sous ses dehors engageants, Millefeuille n'est au fond pas si commode, pas tout à fait à l'aise avec lui-même.
Peut-être n'était-il si entouré, si requis par ses travaux, que pour essayer d'oublier le vide de son existence, dans lequel Leslie Kaplan plonge après en avoir fait le tour...
A propos de La blonde et le bunker, je vous ai déjà proposé un entretien avec Jakuta Alikavazovic. Je complète avec un article.
Jakuta Alikavazovic joue
cartes sur tables : il y a bien une blonde et un bunker dans La blonde et le bunker. Mais pas seulement.
La blonde s’appelle Anna, elle vient avec son mari de « consommer leur divorce ». Les italiques sont dans le
texte, elles traduisent la surprise de Gray, à qui l’expression semble
impropre. Gray est devenu l’amant d’Anna après cinq pages. Bientôt il habite
chez elle, dans une maison de la butte Montmartre qui ressemble à un bunker.
Elle occupe le rez-de-chaussée, son ex-mari, le rez-de-jardin, en dessous. La
situation crée un malaise chez Gray, malgré l’assurance d’Anna : « il n’y avait aucune inquiétude à
avoir. » John Volstead, l’ex-mari, ne fréquente pas le rez-de-chaussée
et se consacre à l’écriture d’un livre. Du moins le prétend-il. Il a publié
vingt ans plus tôt un roman qui a fait sa gloire, Les narcissiques anonymes. Depuis, il vit en face d’une photo qui a
fait la couverture de Time Magazine,
où il signe le front d’une jeune femme. Cette reproduction est un des mystères
dont la romancière parsème son livre, comme autant de mines prêtes à exploser,
le moment venu, à la figure du lecteur.
La plus grosse de ces
mines est la collection Castiglioni, signalée dès les premières lignes. Elle « est souvent décrite comme éphémère. Le mot est mal choisi ; certainement,
elle est fugitive, voire fuyante – si tant est que ces termes puissent s’appliquer
à une collection d’art. » Gray devra retrouver cette collection, après
la mort de John et l’ouverture de son testament dont une ligne le concerne.
C’est assez pour le lancer dans une sorte d’enquête aussi floue que l’objet de
sa recherche et pour le placer dans les pas d’un certain professeur Warski, le
meilleur (et peut-être le seul) spécialiste mondial de la collection
Castiglioni. Il le retrouvera à Venise, en compagnie d’une assistante (dont ce
n’est peut-être pas la véritable fonction).
La
blonde et le bunker
propose quelques certitudes et une quantité bien plus grande de points
d’interrogation. Ceux-ci prolongent le roman hors de lui-même. Ils sont pour le
lecteur des points d’appui, c’est-à-dire aussi la base solide sur laquelle on prend
son élan. Après Le Londres-Louxor dont j'avais déjà salué les qualités, Jakuta Alikavazovic continue à créer
une matière romanesque inédite. Elle doit autant à son talent qu’à son goût
d’explorer les interstices de la réalité.
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