J'en avais fait le pari vendredi, je vous en parlais depuis des mois et je vous avais déjà proposé un entretien avec lui: Patrick Deville a donc reçu un grand prix littéraire, le Femina, pour Peste & choléra - ce qui lui laisse les prochaines années à espérer le Goncourt.
A peine quitté le Kampuchéa (réédité en poche), Patrick Deville a repris
la route, sur la piste d’un chercheur brillant et insaisissable. Alexandre
Yersin est né en Suisse en 1863, dans une famille qui « expie à l’ombre de l’Eglise évangélique libre ». Il
mourra en 1943, à Nha Trang, en Indochine, « dernier
survivant de la bande à Pasteur », ce qui lui vaut, un temps, de
revenir chaque année à Paris où il loge au Lutetia et préside l’assemblée des
directeurs des Instituts Pasteur éparpillés en Afrique et en Asie. Mais, s’il
est passé par là et y a laissé sa marque indélébile, il en est loin, installé
dans sa grande maison où il attend la mort après une vie qui aurait pu remplir
plusieurs autres vies. « Yersin sait
bien qu’il est un nain. Il est cependant un assez grand nain. »
Son esprit a côtoyé celui
des encyclopédistes des Lumières. Son nom reste celui du bacille de la peste,
qu’il a découvert et décrit : « En
deux mois à Hong Kong c’était plié, la grande histoire de la peste. Il a une
autre idée. Il est toujours pressé, Yersin. » Un an plus tard, on le
somme néanmoins de venir s’occuper de « son
foutu bacille » à Paris. Sur toute une ménagerie, il met au point et
teste un vaccin, écrit une note pour la suite du travail. Puis : « Il revisse le capuchon, enlève la
blouse blanche, tend la feuille à Roux, voilà, il lui annonce son départ, je
vous laisse la vaisselle. »
Il est ainsi, Yersin. Et
c’est ainsi que Patrick Deville écrit sa vie, avec des raccourcis saisissants,
presque facétieux. On sourit souvent dans un roman que son titre n’annonçait
pas si réjouissant. On suit l’écrivain dans un monde qui s’étire à la mesure du
grand projet dont il nous parle ci-après. Au passage, il signale ce que La peste, d’Albert Camus, doit aux
découvertes de Yersin. Il est aussi « le
fantôme du futur » qui se rend sur les lieux, relève les traces
visibles après les avoir cherchées dans les livres ou la correspondance. Il
s’arrête à la ferme expérimentale qu’avait montée Yersin près de Nha Trang,
regarde sa tombe. « On pourrait
écrire une Vie de Yersin comme une Vie de saint. Un anachorète retiré au fond
d’un chalet dans la jungle froide, rétif à toute contrainte sociale, la vie
érémitique, un ours, un sauvage, un génial original, un bel hurluberlu. »
De la vie ce bel hurluberlu, Patrick Deville a
tiré un roman (prix du roman Fnac il y a quelques semaines) qui nous porte haut et loin,
ouvrant des perspectives inédites sur le monde et les hommes qui le peuplent.
Dont Yersin était un exemplaire unique. Génial, aussi.
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