On s'y attendait un peu, en raison de l'écho venu des réunions qui se tenaient entre lycéens pour "leur" Goncourt. Ils ont choisi comme les académiciens - mais pas ceux de l'académie Goncourt, comme ceux de l'Académie Française. Et Joël Dicker, sur qui Lionel Jospin n'a aucun pouvoir puisque l'écrivain est suisse, est un cumulard: il reçoit, après le Grand prix du roman de l'Académie française dont je vous ai parlé, le prix Goncourt des Lycéens pour La vérité sur l'affaire Harry Quebert. L'entretien s'est tenu, par téléphone, au début du mois dernier (ce qui explique la dernière question).
Chaque chapitre est précédé d’une brève
introduction. Celle de l’épilogue est assez drôle : « Un bon livre, Marcus, est un livre que l’on regrette d’avoir
terminé. » Parce que c’est exactement ce qui se passe avec La vérité sur l’affaire Harry Quebert.
Je suis très heureux si ça plaît et si on éprouve
de la tristesse à lâcher ce livre à la fin.
Est-ce que vous comprenez l’engouement qui grandit
autour de ce roman ?
Pas du tout. Je suis bien sûr très heureux de
l’engouement, de savoir que les gens l’aiment, des bons retours que j’ai. Je
suis à Bruxelles depuis hier et c’est un plaisir très particulier d’être en
Belgique, parce que c’est un pays que j’aime beaucoup et dont je me sens proche
en étant Suisse. Nous avons des points communs. J’ai rencontré des libraires
contents, des journalistes contents… Mais j’ai un peu de peine à me rendre
compte à quel point ça peut plaire.
Vous aviez déjà publié Les derniers jours de nos pères, votre premier roman, au début de
l’année. Il a eu toute une histoire, ce livre. Vous aviez d’abord reçu le Prix
des écrivains genevois sur manuscrit, c’est ça ?
Oui. Je l’ai écrit il y a à peu près deux ans et
demi. Il se passe en France et raconte l’histoire de l’implication des services
secrets britanniques dans la résistance française pendant la Seconde Guerre
mondiale. Je m’étais donné beaucoup de peine pour ce roman et pour le rendre le
plus littéraire possible, parce que j’avais l’impression que c’était important
pour qu’un livre trouve preneur chez un éditeur. Je l’ai donc envoyé à des
éditeurs, et personne n’en a voulu. Je l’ai donc rangé dans un tiroir pendant
un an. Puis on m’a parlé de ce concours sur manuscrits à Genève et je me suis
dit que j’allais le proposer, ne serait-ce que pour savoir si cela valait la
peine de continuer à écrire. J’étais déjà en train de travailler sur La vérité sur l’affaire Harry Quebert, un gros livre qui me demandait beaucoup de
travail et je me demandais si j’étais vraiment fait pour ça. Beaucoup de
questions me passaient par la tête. Et puis, à ma grande surprise, j’ai eu le
premier prix. C’est là où j’ai rencontré Vladimir Dimitrijevic, monstre sacré
de l’édition en Suisse et bien au-delà. Il avait lu le manuscrit et voulait
l’éditer. L’aventure de ce livre a commencé ainsi. Il a proposé ensuite une
coédition avec Bernard de Fallois. Quelques mois ont passé et, malheureusement,
Dimitrijevic est mort entretemps sur la route, avant la sortie de ce livre qui,
du coup a été retardé et est finalement sorti en janvier. Pendant ce temps,
j’avais presque fini d’écrire La vérité sur l’affaire Harry Quebert… Là, je m’étais dit qu’il ne fallait pas
écrire seulement pour que quelqu’un l’aime mais surtout pour se faire plaisir.
Si personne n’en avait voulu, j’aurais
au moins eu la sensation agréable d’écrire quelque chose qui m’avait fait
plaisir. C’est pourquoi ce livre ne répond pas tellement aux codes de l’édition
française aujourd’hui…
Les codes de l’édition française existent moins
qu’on ne le dit…
C’est possible, oui. Mais c’était dans mon esprit.
Les codes, nous les fabriquons nous-mêmes. Donc, j’ai terminé ce livre au mois
de mai et je pensais qu’il sortirait l’année prochaine. Mais Bernard de Fallois
est sorti enthousiaste de sa lecture et il m’a convaincu que c’était le bon
moment pour le faire.
Vous parlez beaucoup d’édition dans le livre,
puisqu’il y a deux personnages d’écrivains. Mais il s’agit de l’édition
américaine, ce qui est très différent. Vous la connaissez un peu ?
C’est l’édition américaine, et c’est le monde de
l’entreprise en général. C’est un livre sur un livre, avec le monde des
écrivains, dont c’était important d’avoir cette homogénéité et de parler un peu
d’édition. Mais je parle d’un éditeur pour faire la satire du monde de
l’entreprise aujourd’hui en Occident où, au fond, les chefs d’entreprise sont
de plus en plus soumis à la pression des conseils d’administration, des
actionnaires et doivent être axés sur les chiffres, la rentabilité. On a
parfois l’impression qu’ils en oublient le produit qu’ils sont en train de
fabriquer ou de vendre. Il y a quantité de marques qui s’éloignent de
l’idéologie initiale du produit.
Pourquoi avoir choisi les Etats-Unis ?
J’avais envie d’écrire un roman qui se passe aux
Etats-Unis. Le nord de la côte Est est une région que je connais bien parce que
j’y ai passé beaucoup de temps. J’ai de la famille à Washington D.C. et qui a
une maison de vacances dans le Maine, où j’ai passé un mois chaque année quand
j’étais enfant. J’y vais souvent, j’y suis retourné encore il y a deux ans.
Pour y avoir passé beaucoup de temps enfant, j’ai beaucoup rêvé là-bas et
j’avais toujours eu très envie de placer le décor d’un livre à cet endroit. Mon
premier livre, d’ailleurs, j’avais déjà envie de le placer dans un décor plus
ou moins similaire mais je me suis fait happer par l’histoire du SOE [le Special Operation Executive créé par
Churchill] que j’y raconte et le roman a
complètement immigré en Angleterre et en France. C’est pour cela que, quand
j’ai commencé à écrire mon deuxième roman, en pensant que c’était peut-être le
dernier que j’écrivais et que je devrais me concentrer ensuite sur des choses
plus sérieuses, je me suis dit que j’allais faire un livre qui me plairait de A
à Z. Et, donc, le placer en Amérique du Nord puisque j’en avais toujours eu
envie. J’y ai donc mis beaucoup de mes envies, beaucoup de mon caractère – un
caractère assez gai, amusant et amusé par la vie. Je n’aurais peut-être pas osé
faire ce livre comme ça si j’avais eu la volonté absolue de le faire publier
pour qu’il marche, etc.
Entre le A et le Z de ce qui devait vous plaire
dans ce roman, vous entrecroisez de nombreux thèmes. L’un d’entre eux vous
a-t-il motivé plus que les autres ?
Il y avait deux points de départ. Le premier,
c’était l’Amérique mais je ne savais pas quels personnages j’allais y mettre,
s’ils seraient français ou américains, je me posais encore beaucoup de
questions sur la forme. Le deuxième, c’était un sujet que j’avais envie de
traiter : l’apprentissage. Je voulais le roman d’apprentissage d’un jeune
homme qui découvre un peu la vie ou au moins une partie de la vie avec un
maître. L’idée a évolué ensuite vers cette relation entre Marcus et Harry. Au
départ, je pensais à un très jeune adulte et c’est devenu un homme déjà adulte
– Marcus a une trentaine d’années – qui poursuit la relation avec son maître.
Cette découverte de la vie quand il a déjà trente ans est un élément plus
intéressant, me semblait-il, parce que cela donnait cette impression que j’ai,
puisque c’est plus ou moins l’âge que j’ai – j’ai 27 ans –, qu’on est considéré
comme un adulte à part entière avec les responsabilités qui nous incombent –
j’ai des amis qui se marient, qui ont des enfants, qui deviennent les créateurs
de la génération suivante – et qu’en même temps il y a encore beaucoup à
apprendre. C’est agréable de se dire ça, que ce n’est pas fini, qu’il y a
encore beaucoup à découvrir, des gens à aimer… On a une vie encore, devant
nous.
La vérité sur l’affaire Harry
Quebert est un roman très construit sur les
rebondissements du récit, sur des dévoilements successifs. Possédiez-vous cette
construction au départ, ou est-ce qu’elle est venue en route ?
Elle est venue en route. J’avais envie d’écrire un
roman qui soit long et à la fois facile à lire. Modestement, c’était un peu le
pari : qu’il plaise au lecteur qui n’aime pas lire, qui bloque devant un
gros livre, et qu’il plaise aussi à celui qui aime lire, au lecteur exigeant.
Je ne voulais pas un livre qu’on puisse ranger facilement dans une catégorie,
mais qu’on puisse le transmettre parce qu’on l’a lu, qu’on l’a aimé et qu’on a
envie de le faire lire à quelqu’un. Pour permettre cet échange entre les gens,
c’était important d’avoir un livre qui puisse convenir à toutes sortes de
caractères de lecteurs. Je dis cela de façon très modeste, parce que j’ignorais
s’il serait ainsi. Mais je rêvais de m’en approcher. C’était tout le défi de ce
livre, qui explique peut-être la variété de thèmes et le fait que j’ai un peu
de peine, quand on me demande quel genre c’est, à dire si c’est un polar, un
roman d’apprentissage, un roman sur l’écriture…
On peut résumer votre roman en disant : c’est
l’histoire d’une petite ville dans laquelle tout à coup on découvre qu’il s’est
passé des choses dont on ignorait tout. Ce serait le même résumé pour le roman
de J.K. Rowling qui vient aussi de paraître, Une place à prendre. Que pensez-vous de ce rapprochement ?
C’est, au fond, un thème, si on ne prend que
celui-là dans mon livre, très banal et commun à beaucoup de romans. Les livres
se répètent beaucoup les uns les autres par leurs thèmes. Après, tout dépend de
la manière dont c’est traité. Cela pourrait être du Simenon, ou n’importe quel
polar britannique dont beaucoup sont construits à partir de ce schéma.
Nous-mêmes, quand on se raconte une histoire, ou quand on raconte une histoire
à des enfants, on a souvent besoin d’avoir un schéma-type qui permet de se
repérer et, ensuite, de pouvoir broder autour.
Avez-vous parfois pensé à Lolita, de Nabokov ?
Un petit peu, évidemment, dans le personnage de
Nola, mais pas tellement. Nabokov est un écrivain et un personnage qui
m’intrigue et qui me plaît beaucoup. La référence à Lolita est là mais, ce qui
est amusant, c’est que je n’avais pas lu Lolita depuis des années. Je devais
avoir quinze ou seize ans et c’est un livre qui m’avait marqué. Quand on m’en a
parlé après coup, je l’ai relu dans le courant du moins d’août et j’ai compris
la portée de ce livre. J’ai surtout compris qu’il n’y avait pas beaucoup de
liens entre ma Nola et la Lolita de Nabokov. Je ne sais pas si quelqu’un
prendrait le risque aujourd’hui d’éditer ce roman qui est quand même très
dérangeant… Ce n’est pas que cela m’a dérangé moi, mais les mœurs ont changé et
la question de la pédophilie nous a frappés assez violemment. Elle est devenue
très délicate.
Quand vous aurez reçu un grand prix littéraire
dans quelques semaines, qu’allez-vous faire ?
[Il éclate de rire.]
Comme je vous le disais au début, je n’ai pas
conscience de ce qui se passe. Très honnêtement, je n’ai pas l’impression
d’être en course pour des prix. Je ne sais pas comment dire… Mais je ne
fantasme pas sur les prix et je ne suis pas excité. Je suis très heureux, au
jour le jour, que ce livre écrit d’abord pour mon plaisir rencontre un public,
ait un succès – et un succès critique, aussi, c’est important. Le public est important
mais la critique aussi. Quand on doute beaucoup, la reconnaissance fait du
bien. Mais je ne voudrais pas gâcher ce plaisir que j’ai aujourd’hui d’être en
Belgique, d’être avec vous au téléphone, en me projetant déjà plus loin et de
me demander ce qui va se passer si j’ai un prix. Si ça sa passe bien avec un
prix, je pense que ça me permettra de vivre tout ça encore plus pleinement. Et,
s’il n’y a pas de prix, ce n’est pas très grave parce que j’ai déjà tellement
de chance que c’est déjà, pour moi, quelque chose de très grand.
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