Les enjeux sont
importants. Un prix Goncourt représente la promesse d’au moins 200.000
exemplaires vendus, et souvent beaucoup plus. Les autres récompenses de la
semaine prochaine, Femina, Médicis et Renaudot, ont, bien que dans une moindre
mesure, un effet similaire. Que sera la cuvée 2012 de la saison ? Elle
s’est ouverte, fin octobre, par l’attribution du Grand prix du roman de
l’Académie française au jeune Suisse de 27 ans Joël Dicker pour son deuxième
roman, La vérité sur l’affaire Harry
Quebert (Editions de Fallois/L’Age d’homme), dont vous entendrez encore
parler un peu plus bas.
Il va s’en passer, des choses, avant mercredi.
Prenons-les dans l’ordre.
Lundi
Il a fallu du temps pour
que le Goncourt et le Femina, parfois désireux de couronner le même roman,
s’accordent sur une alternance au lieu de bousculer sauvagement le calendrier.
Cette année, le prix Femina arrive en premier et lorgne sur… deux des favoris
du Goncourt : Peste & choléra,
de Patrick Deville (Seuil), et Le sermon
sur la chute de Rome, de Jérôme Ferrari (Actes Sud). Deux femmes sont aussi
sur les tablettes de ce jury complètement féminin, comme son nom
l’indique : Julia Deck pour son premier roman, Viviane Elisabeth Fauville (Minuit), et Anne Serre pour Petite table, sois mise !
(Verdier), plein d’une sensualité ambiguë. L’ancien ministre de Sarkozy Bruno
Le Maire complète la dernière sélection avec un premier roman, Musique absolue (Gallimard), où il
recrée la personnalité du chef d’orchestre Carlos Kleiber.
Si on me demandait un
pronostic (ne le demandez pas, je vous le donne de toute manière), je miserais volontiers sur Patrick Deville – dont je vous ai déjà souvent parlé.
Mardi
Un petit problème de communication
du côté du prix Médicis, semble-t-il : le jury s’est réuni mardi soir pour
établir sa dernière sélection et, jeudi matin, celle-ci n’avait pas encore été
publiée. La faute aux verres de vin vidés pendant la délibération, et que
montrait indiscrètement une photo prise par un des jurés ? Peut-être n’y
avait-il, après tout, pas grand changement par rapport aux six titres de la
sélection précédente. Patrick Deville y était retenu, avec notamment Philippe
Djian (« Oh… », Gallimard)
qui semble devoir être son principal concurrent au moment de la délibération
finale. Je dis cela sans négliger les qualités des quatre autres ouvrages
retenus : Millefeuille, de
Leslie Kaplan (P.O.L.), Féerie générale,
d’Emmanuelle Pireyre (L’Olivier), Le
bonheur des Belges, de Patrick Roegiers (Grasset), et Infidèles, d’Abdallah Taïa (Seuil).
En toute logique, si
Patrick Deville a reçu le Femina la veille, Philippe Djian devrait être
couronné.
Mercredi
Ce sera le grand moment,
celui du prix le plus important, symboliquement et commercialement. Selon
l’accord qu’ils ont passé depuis longtemps, les jurés Renaudot ne font jamais
d’ombre aux académiciens Goncourt. Quelques secondes après l’annonce du
Goncourt, dans le même restaurant parisien, le deuxième choix du Renaudot est
proclamé lauréat si leur premier choix était le lauréat du Goncourt.
Dans mon hypothèse, si
Patrick Deville a reçu le Femina, il sera logiquement écarté (quoique…) du vote
final pour le Goncourt – dont il reste favori s’il a traversé les deux premiers
jours de la semaine sans récompense. Trois autres romans seraient donc en lice,
et surtout deux : Le sermon sur la
chute de Rome, de Jérôme Ferrari (Actes Sud), déjà cité, et La vérité sur l’affaire Harry Quebert,
de Joël Dicker (Editions de Fallois/L’Age d’homme), déjà récompensé. Tant pis,
se sont dit les académiciens Goncourt dont Pierre Assouline résume la position
collective : « Quant à la
question de savoir s’il est gênant qu’un autre jury ait déjà couronné un livre
sélectionné par les Goncourt depuis le début septembre (comme c’est le cas
avec La vérité sur l’affaire
Harry Quebert distingué par
le Grand prix du roman de l’Académie française), il fut rapidement convenu que
c’était là un faux problème, que l’on n’avait pas à s’en préoccuper et que,
pour tout dire “on s’en fout”. »
Le doublé Académie française-Goncourt a déjà bénéficié à Patrick Rambaud
en 1997 et à Jonathan Littell en 2006, tandis qu’en 1995, Andreï Makine avait
reçu le Goncourt et le Médicis. Le débat de mercredi « promet de belles empoignades », prédit Assouline. D’autant
que Linda Lê (Lame de fond, Bourgois)
est une outsider non négligeable.
Des sondages sont en
cours pour désigner les favoris des lecteurs. Sur le site de Livres Hebdo, revue professionnelle, Jérôme Ferrari a pris la tête devant Patrick Deville (avec respectivement 35 et 30 % des voix). Joël Dicker, en troisième position (22 %), devance largement Linda Lê (13 %). Sur
le site de Bibliobs, au public plus
mélangé, l'ordre est le même, en plus resserré pour les trois premiers : 32 % pour Jérôme Ferrari, 30 pour Patrick Deville, 25 pour Joël Dicker et 13 pour Linda Lê. Mais ne nous réfugions pas derrière les
sondages : Joël Dicker a, me semble-t-il, toutes les chances d’avoir le
Goncourt.
A ce propos, une confidence de Pierre Assouline (de l'académie Goncourt) qui répondait hier soir à une réflexion que je lui faisais à propos de mon embarras si j'avais à voter, car j'hésiterais entre Patrick Deville et Joël Dicker. « Vous n'êtes pas le seul... », m'écrivait-il.
Au prix Renaudot, où bien
sûr Patrick Deville apparaît aussi (il est partout cette année), Vassilis
Alexakis est mon favori pour L’enfant
grec (Stock). Christian Authier (Une
certaine fatigue, Stock), Anne Berest (Les
Patriarches, Grasset) et Jean-Loup Trassard (L’homme des haies, Gallimard) complètent la dernière sélection.
Jeudi et ensuite…
Ce ne sera pas terminé
après cette salve retentissante, d’autant que je n’ai pas dit un mot des prix du roman étranger (je suis pourtant occupé à compléter mes lectures, car il m'en reste quelques-uns à découvrir) et de l’essai qui accompagnent
certains prix du roman français. Jeudi, le prix de Flore et le prix Décembre
(oui, en novembre…) seront attribués. Il y aura encore, la semaine suivante, le
prix Wepler/Fondation La Poste, le prix du Premier roman, le prix Interallié,
le Goncourt des Lycéens, le prix Mauvais Genre. Soit, en quelques jours, l’essentiel
des plus beaux lauriers décernés par des jurys littéraires français.
Je glisse rapidement, pour finir
(provisoirement), un chiffre presque effrayant : plus de deux mille prix
littéraires sont décernés chaque année en France. Peu d’entre eux, bien sûr,
ont un retentissement comparable à ceux que je viens d’évoquer. Et sur
lesquels je reviendrai la semaine prochaine, au fur et à mesure des résultats.
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