vendredi 2 novembre 2012

La grande semaine des prix d'automne


Les enjeux sont importants. Un prix Goncourt représente la promesse d’au moins 200.000 exemplaires vendus, et souvent beaucoup plus. Les autres récompenses de la semaine prochaine, Femina, Médicis et Renaudot, ont, bien que dans une moindre mesure, un effet similaire. Que sera la cuvée 2012 de la saison ? Elle s’est ouverte, fin octobre, par l’attribution du Grand prix du roman de l’Académie française au jeune Suisse de 27 ans Joël Dicker pour son deuxième roman, La vérité sur l’affaire Harry Quebert (Editions de Fallois/L’Age d’homme), dont vous entendrez encore parler un peu plus bas.
Il va s’en passer, des choses, avant mercredi. Prenons-les dans l’ordre.

Lundi


Il a fallu du temps pour que le Goncourt et le Femina, parfois désireux de couronner le même roman, s’accordent sur une alternance au lieu de bousculer sauvagement le calendrier. Cette année, le prix Femina arrive en premier et lorgne sur… deux des favoris du Goncourt : Peste & choléra, de Patrick Deville (Seuil), et Le sermon sur la chute de Rome, de Jérôme Ferrari (Actes Sud). Deux femmes sont aussi sur les tablettes de ce jury complètement féminin, comme son nom l’indique : Julia Deck pour son premier roman, Viviane Elisabeth Fauville (Minuit), et Anne Serre pour Petite table, sois mise ! (Verdier), plein d’une sensualité ambiguë. L’ancien ministre de Sarkozy Bruno Le Maire complète la dernière sélection avec un premier roman, Musique absolue (Gallimard), où il recrée la personnalité du chef d’orchestre Carlos Kleiber.
Si on me demandait un pronostic (ne le demandez pas, je vous le donne de toute manière), je miserais volontiers sur Patrick Deville – dont je vous ai déjà souvent parlé.

Mardi


Un petit problème de communication du côté du prix Médicis, semble-t-il : le jury s’est réuni mardi soir pour établir sa dernière sélection et, jeudi matin, celle-ci n’avait pas encore été publiée. La faute aux verres de vin vidés pendant la délibération, et que montrait indiscrètement une photo prise par un des jurés ? Peut-être n’y avait-il, après tout, pas grand changement par rapport aux six titres de la sélection précédente. Patrick Deville y était retenu, avec notamment Philippe Djian (« Oh… », Gallimard) qui semble devoir être son principal concurrent au moment de la délibération finale. Je dis cela sans négliger les qualités des quatre autres ouvrages retenus : Millefeuille, de Leslie Kaplan (P.O.L.), Féerie générale, d’Emmanuelle Pireyre (L’Olivier), Le bonheur des Belges, de Patrick Roegiers (Grasset), et Infidèles, d’Abdallah Taïa (Seuil).
En toute logique, si Patrick Deville a reçu le Femina la veille, Philippe Djian devrait être couronné.

Mercredi



Ce sera le grand moment, celui du prix le plus important, symboliquement et commercialement. Selon l’accord qu’ils ont passé depuis longtemps, les jurés Renaudot ne font jamais d’ombre aux académiciens Goncourt. Quelques secondes après l’annonce du Goncourt, dans le même restaurant parisien, le deuxième choix du Renaudot est proclamé lauréat si leur premier choix était le lauréat du Goncourt.
Dans mon hypothèse, si Patrick Deville a reçu le Femina, il sera logiquement écarté (quoique…) du vote final pour le Goncourt – dont il reste favori s’il a traversé les deux premiers jours de la semaine sans récompense. Trois autres romans seraient donc en lice, et surtout deux : Le sermon sur la chute de Rome, de Jérôme Ferrari (Actes Sud), déjà cité, et La vérité sur l’affaire Harry Quebert, de Joël Dicker (Editions de Fallois/L’Age d’homme), déjà récompensé. Tant pis, se sont dit les académiciens Goncourt dont Pierre Assouline résume la position collective : « Quant à la question de savoir s’il est gênant qu’un autre jury ait déjà couronné un livre sélectionné par les Goncourt depuis le début septembre (comme c’est le cas avec La vérité sur l’affaire Harry Quebert distingué par le Grand prix du roman de l’Académie française), il fut rapidement convenu que c’était là un faux problème, que l’on n’avait pas à s’en préoccuper et que, pour tout dire “on s’en fout”. » Le doublé Académie française-Goncourt a déjà bénéficié à Patrick Rambaud en 1997 et à Jonathan Littell en 2006, tandis qu’en 1995, Andreï Makine avait reçu le Goncourt et le Médicis. Le débat de mercredi « promet de belles empoignades », prédit Assouline. D’autant que Linda Lê (Lame de fond, Bourgois) est une outsider non négligeable.
Des sondages sont en cours pour désigner les favoris des lecteurs. Sur le site de Livres Hebdo, revue professionnelle, Jérôme Ferrari a pris la tête devant Patrick Deville (avec respectivement 35 et 30 % des voix). Joël Dicker, en troisième position (22 %), devance largement Linda Lê (13 %). Sur le site de Bibliobs, au public plus mélangé, l'ordre est le même, en plus resserré pour les trois premiers : 32 % pour Jérôme Ferrari, 30 pour Patrick Deville, 25 pour Joël Dicker et 13 pour Linda Lê. Mais ne nous réfugions pas derrière les sondages : Joël Dicker a, me semble-t-il, toutes les chances d’avoir le Goncourt.
A ce propos, une confidence de Pierre Assouline (de l'académie Goncourt) qui répondait hier soir à une réflexion que je lui faisais à propos de mon embarras si j'avais à voter, car j'hésiterais entre Patrick Deville et Joël Dicker. « Vous n'êtes pas le seul... », m'écrivait-il.
Au prix Renaudot, où bien sûr Patrick Deville apparaît aussi (il est partout cette année), Vassilis Alexakis est mon favori pour L’enfant grec (Stock). Christian Authier (Une certaine fatigue, Stock), Anne Berest (Les Patriarches, Grasset) et Jean-Loup Trassard (L’homme des haies, Gallimard) complètent la dernière sélection.

Jeudi et ensuite…

Ce ne sera pas terminé après cette salve retentissante, d’autant que je n’ai pas dit un mot des prix du roman étranger (je suis pourtant occupé à compléter mes lectures, car il m'en reste quelques-uns à découvrir) et de l’essai qui accompagnent certains prix du roman français. Jeudi, le prix de Flore et le prix Décembre (oui, en novembre…) seront attribués. Il y aura encore, la semaine suivante, le prix Wepler/Fondation La Poste, le prix du Premier roman, le prix Interallié, le Goncourt des Lycéens, le prix Mauvais Genre. Soit, en quelques jours, l’essentiel des plus beaux lauriers décernés par des jurys littéraires français.
Je glisse rapidement, pour finir (provisoirement), un chiffre presque effrayant : plus de deux mille prix littéraires sont décernés chaque année en France. Peu d’entre eux, bien sûr, ont un retentissement comparable à ceux que je viens d’évoquer. Et sur lesquels je reviendrai la semaine prochaine, au fur et à mesure des résultats.

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