mercredi 7 novembre 2012

Le Goncourt à Jérôme Ferrari

Cinq voix pour Jérôme Ferrari et Le sermon sur la chute de Rome, quatre voix pour Patrick Deville, prix Femina deux jours plus tôt.
Jérôme Ferrari avait eu la bonne idée de revenir à Paris pour y attendre l'annonce des résultats du Goncourt - il habite pour l'instant Abou Dhabi, après avoir vécu notamment en Corse, son territoire de coeur où se déroule d'ailleurs son dernier roman.
C'est l'histoire d'un bar. Ou l'histoire de deux amis. Ou du succès qui précède la chute, comme l'explique saint Augustin: "Tu es étonné parce que le monde touche à sa fin ? Étonne-toi plutôt de le voir parvenu à un âge si avancé. Le monde est comme un homme : il naît, il grandit et il meurt."
C'est, bien sûr, tout cela à la fois, dans une langue sinueuse et superbe, à travers laquelle les événements sont mis en valeur sous une lumière singulière.Au point de départ, une photo:
Comme témoignage des origines – comme témoignage de la fin, il y aurait donc cette photo, prise pendant l’été 1918, que Marcel Antonetti s’est obstiné à regarder en vain toute sa vie pour y déchiffrer l’énigme de l’absence. On y voit ses cinq frères et sœurs poser avec sa mère. Autour d’eux, tout est d’un blanc laiteux, on ne distingue ni sol ni murs, et ils semblent flotter comme des spectres dans la brume étrange qui va bientôt les engloutir et les effacer. Elle est assise en robe de deuil, immobile et sans âge, un foulard sombre sur la tête, les mains posées à plat sur les genoux, et elle fixe si intensément un point situé bien au-delà de l’objectif qu’on la dirait indifférente à tout ce qui l’entoure – le photographe et ses instruments, la lumière de l’été et ses propres enfants, son fils Jean-Baptiste, coiffé d’un béret à pompon, qui se blottit craintivement contre elle, serré dans un costume marin trop étroit, ses trois filles aînées, alignées derrière elle, toutes raides et endimanchées, les bras figés le long du corps et, seule au premier plan, la plus jeune, Jeanne-Marie, pieds nus et en haillons, qui dissimule son petit visage blême et boudeur derrière les longues mèches désordonnées de ses cheveux noirs.
La photo n'explique pas tout, et il arrive pendant le roman qu'on l'oublie presque, mais on y revient de temps à autre comme on reprend la clé qui va nous expliquer non seulement l'absence mais aussi la vie.
Comme depuis le début de la semaine, la littérature est mise à l'honneur, dans ce qu'elle a de meilleur. C'est-à-dire quand elle s'attache aux mots et à leur musique, recréant leur sens et ouvrant, par la grâce de la poésie, à une signification nouvelle de ce que nous sommes. Mortels, éphémères...

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