Le prix du roman métis fait partie de cette masse de récompenses littéraires dont je ne sais toujours exactement que penser. Mais, quand un bon livre est couronné, comme c'est le cas avec Le terroriste noir, je ne vais pas faire la fine bouche.
Les tirailleurs
sénégalais, qui n’étaient pas tous sénégalais, ne sont peut-être pas entrés
assez dans l’Histoire, pour paraphraser un président français. Ce n’est pas
faute d’avoir payé de leur chair et de leur sang. En revanche, les historiens
européens les ont longtemps considérés comme quantité négligeable – la chair à
canon sur les premières lignes des combats. Une étape a été franchie quand
leurs mérites collectifs ont été reconnus. Tierno Monénembo ne s’en contente
pas. Il cite Léopold Sédar Senghor : « On
fleurit les tombes, on réchauffe le Soldat inconnu, / Vous, mes frères obscurs,
personne ne vous nomme. » Il redonne vie à l’un d’eux et, précisément,
le nomme : Addi Bâ. Il retrace son parcours en partant de ce qu’on sait
vraiment de lui. Car l’homme a existé avant de devenir personnage de roman.
Un beau roman,
d’ailleurs, construit sur des fondations réelles avec des détails, des regards,
des percées vers un imaginaire susceptible de mieux éclairer le destin d’Addi
Bâ. Quand il arrive à Romaincourt, « personne
n’avait jamais vu de nègre ». Nègre : vous avez bien lu.
L’écrivain, guinéen comme son héros, ne choisit pas le mot au hasard. Ce mot chargé
de connotations racistes que l’on n’ose plus utiliser. Mais qui, à l’époque,
appartenait au langage courant. Et s’apparentait à une description de la
couleur de peau plutôt qu’à un rejet de l’autre. « On l’appelait “le nègre”, quand il n’était pas là, et simplement
“monsieur” quand on se trouvait en face de lui. C’était commode, c’était
pratique, et cela nous arrangeait tous. Cela ne semblait pas le gêner. Un nègre
parmi nous : on ne prenait même pas la peine de s’en étonner. »
Nous sommes en 1940. Addi
Bâ a été fait prisonnier, s’est enfui et s’est caché dans les bois où il a été
découvert et aidé par des habitants du village. Sans quoi il serait mort de
faim ou de froid. Il s’intègre à la population et séduit des femmes malgré une
présence discrète en raison des dangers qu’elle fait courir à lui-même et aux
autres. Germaine, adolescente, le rencontre dans le même mouvement de
fascination qui la poussera, plus tard, à le raconter : elle est la
narratrice. Bien placée pour situer l’arrivée de cet homme dans les relations
parfois complexes, voire conflictuelles, entre les familles villageoises, elle
dit ce qu’elle savait alors et le complète de ce qu’elle a appris plus tard.
Addi Bâ entre en effet
dans la Résistance, devient pour les Allemands Le terroriste noir du titre. Chef de guerre un peu malgré lui, il
dirige des hommes qui n’acceptent pas tous son commandement. Il s’impose à
force de conviction et de compétence. Et s’imposera davantage encore quand, dénoncé,
il sera repris, condamné à mort, exécuté… Lilian Thuram avait déjà fait le portrait d’Addi
Bâ dans Mes étoiles noires (Philippe
Rey, 2010). Le roman de Tierno Monénembo, en recréant non seulement l’homme
mais aussi la vie du village et celle d’un groupe de résistants, va plus loin.
Il ne s’agit pas que de mémoire. Il s’agit aussi de retrouver une voix, une
présence. Le moyen d’y parvenir s’appelle littérature. Elle se glisse dans un
récit sinueux. Germaine clôt son récit par l’exécution. Mais, entretemps, elle
a remonté le temps sans trop s’occuper de l’organiser, expliquant par exemple
quand elle le juge bon comment Addi Bâ est arrivé en France, bien avant la
guerre, ce qu’il y a fait et quels liens il gardait avec sa Guinée natale. Les
éléments se mettent en place selon une logique affective plutôt que selon la
chronologie. Et nous y adhérons.
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