jeudi 8 novembre 2012

Le prix Décembre à Mathieu Riboulet

On avait (j'avais, ne généralisons pas) craint le pire: le prix Décembre irait à Christine Angot, comme cela se disait beaucoup, et je ne pourrais que répéter ce que j'avais déjà écrit quand elle avait reçu le prix Sade. Et puis, non: Les Oeuvres de miséricorde, de Mathieu Riboulet, un écrivain dont je pense n'avoir rien lu auparavant, ont été choisies.
Excellent choix, dans une semaine décidément parfaite. (Reste, ce soir, le prix de Flore.) Mais ce n'est pas passé loin: au troisième tour de vote, les livres de Christine Angot et de Mathieu Riboulet étaient à égalité. Heureusement, Charles Dantzig, président actuel du jury, a été amené à jouer de ce statut pour faire pencher la balance du bon côté ("bon", en toute subjectivité librement assumée) grâce à sa double voix, utilisable précisément en cas d'égalité.
Une phrase, d'abord, pour donner le ton. Elle est de Stig Dagerman, que Mathieu Riboulet cite: «L’œuvre littéraire est-elle plus proche de la souffrance que cause le reflet du feu ou de celle qui naît du feu lui-même?»
Ces "fictions & réalités", ainsi que le précise la page de titre (avec un deuxième usage, cette semaine, du signe rarement utilisé qu'est l'esperluète déjà rencontrée dans Peste & choléra, de Patrick Deville), glissent de la miséricorde à la brutalité, du désir à la mort. Elles sont pour une bonne part allemandes, au pays jadis infréquentable pour un Français - selon un "sentiment flottant, informulé". Le narrateur franchit la frontière pour rencontrer, à Cologne, Andreas, un amant très fréquentable. Même et surtout dans un pays où les homosexuels ont subi le même sort que les Juifs.
Le narrateur franchit aussi la frontière qui limite les oeuvres de miséricorde et les prolonge dans un autre glissement. Car, s'il commence par un des enseignements christiques (vêtir ceux qui sont nus) dont l'énumération constitue une articulation forte du livre, il change progressivement de registre, laissant pour morts les prisonniers, payant ceux qui nous tuent...
Les corps des peintures scrutées avec attention, ceux des amants, celui d'un jeune homme sur qui la main ne sera jamais posée, tous sont présents avec une intensité qui rend l'écriture brûlante de ce feu dont parlait Stig Dagerman.

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