C'est un des romans qui font grand bruit dans cette rentrée littéraire. A juste titre. C'est aussi un des meilleurs. Peste & choléra sera donc le premier sujet d'une série d'entretiens que je commence à publier aujourd'hui, avec des écrivains dont les livres sont encore frais. Une partie de cet échange avec Patrick Deville, réalisé dans un train en juin et par téléphone plus récemment, est déjà paru dans Le Soir.
Plusieurs fois, vous commentez la démarche de
Yersin en disant : « Il faut toujours qu’il sache tout ».
C’est plus fort que lui. C’est ce qu’il y a
d’intéressant chez lui, sa curiosité. Toujours avec le prétexte que c’est
important. Parfois, oui, c’est important. Mais il ne s’agit parfois que de
lubies. Il aurait probablement pu devenir un des grands successeurs de Pasteur.
Mais, pour devenir Pasteur, il faut vouloir être Pasteur, tous les jours, 24
heures sur vingt-quatre. Yersin en était incapable. Il ne menait jamais ses
réussites au-delà de la découverte. Donc, il refuse de rester à l’Institut
Pasteur.
Vous le comparez à un encyclopédiste des Lumières…
Oui, il est leur successeur, il appartient à la
dernière génération pour laquelle il est possible de n’être pas
hyperspécialisé. Cela me permettait aussi de faire le lien avec La Condamine
qui, avant lui, s’est intéressé au caoutchouc et au quinquina…
Vous-même, vous avez cette curiosité ?
Oui, comme un romancier qui s’intéresse à beaucoup
de choses et les utilise dans ses livres. Ici, j’ai passé un accord avec
l’Institut Pasteur pour utiliser la correspondance entre Yersin et les autres
pasteuriens, puisque cette petite bande n’a pas cessé de s’envoyer des lettres.
Mais je n’y suis pas allé comme un thésard qui cherche à creuser un point
précis, j’ai papillonné dans cette correspondance. Je voulais faire ça vite et
à l’intuition. J’ai un côté thésard, mais si je m’y étais laissé aller, cela
aurait été une catastrophe.
Vous allez aussi sur les lieux ?
Oui, parce que, dans ces livres, les cinq que j’ai
publiés au Seuil et qui constituent, en fait, un seul roman, je suis le fantôme
du futur. Je m’intéresse à une époque qui commence en 1860, jusqu’à notre
époque.
En réalité, c’est surtout géographiquement que vous
vous déplacez à travers vos livres depuis Pura
vida, en passant par La tentation des
armes à feu, Equatoria et Kampuchéa…
C’est ce que j’avais proposé il y a maintenant pas
mal d’années. Tous ces livres vont vers l’est, autour des Tropiques et de l'Équateur. L’idée était de voir comment les rêves, les utopies du progrès, du
futur, politiques et scientifiques... – il n’y a pas de différence, c’est un peu
le sujet de ce livre : les avancées scientifiques sont toujours
extrêmement liées aux problèmes politiques. Ce qui m’intéressait dans celui-là,
c’était la compétition entre Koch et Pasteur, à partir de laquelle on peut lire
les trois conflits franco-allemands et les deux conflits mondiaux.
« Cette saleté de la
politique », écrivez-vous…
C’est plutôt le point de vue de Yersin, ce n’est
pas le mien. Je ne suis pas d’accord avec lui, il faut s’en occuper. Lui s’en
lave les mains, vraiment.
En écrivant les livres précédents, aviez-vous déjà
rencontré Yersin, ou d’autres pasteuriens qui vous ont amené à lui ?
J’en avais rencontré d’autres. Dans les livres
précédents, je ne m’occupais pas de cette zone de l’Asie du Sud-est – si,
Yersin apparaît deux fois dans Kampuchéa. Mais j’avais vu passer Calmette à
Libreville. Je n’en avais pas fait mention, mais je savais qu’il avait
rencontré Brazza au Gabon. C’est très lié au fait que beaucoup de ces
personnages sont passés par l’École navale de Brest. C’est le cas de Brazza et
de Loti qui y étaient à la même époque. Dans Kampuchéa il y a Garnier, qui a été le premier à remonter le Mékong, et Pavie,
qui invente le Laos. Il y a eu Calmette, aussi. Tous ces gens-là sont à peu
près au même moment à l’Ecole navale de Brest.
C’est un vivier formidable, pour vous ?
Absolument, parce que beaucoup de ces explorateurs
sont passés par là.
Dans votre tour du monde, vous êtes passé de
l’Afrique au Cambodge. N’auriez-pas voulu faire une étape en Inde ?
J’aurais pu, puisque j’en étais à Zanzibar. Il
aurait été assez logique de passer à l’Océan Indien. Mais il y a des choses que
je ne maîtrise pas et c’était la date de l’ouverture du procès des Khmers
rouges qui m’a fait aller jusqu’à Phnom-Penh.
Vous vous laissez manipuler par l’actualité ?
Bien sûr. Ce n’est pas le cas pour Yersin, qui n’a
rien à voir avec l’actualité. Mais Kampuchéa, je voulais le faire avec
en toile de fond le procès des Khmers rouges et je voulais y assister.
Allez-vous revenir en arrière ?
C’est possible. A chaque fois, on me
demande : alors, c’est fini la trilogie, puis la tétralogie, etc. ?
Mais je n’ai jamais donné un nombre de livres et je n’en sais rien, je pourrais
aussi faire un deuxième tour. Ce qui me permettrait d’aller un jour dans
l’Océan Indien…
Travaillez-vous sur plusieurs livres à la
fois ?
Oui. J’ai en chantier depuis longtemps un livre
mexicain, dont j’ai publié un chapitre au Mexique et en ligne en France. Je
mentionne d’ailleurs, dans Peste
& Choléra, à Nha Trang, qu’Acapulco
est juste en face. Il n’y a plus qu’à franchir le Pacifique.
Ce projet est énorme. Vous ne vous en lassez
jamais ?
Non, la seule chose qui manque au contraire, c’est
le temps. J’espère travailler de plus en plus et de plus en plus vite. Non
seulement je ne m’en lasse pas, mais je peste de ne pas avoir suffisamment de
temps.
Vous faites aussi d’autres choses…
Je m’occupe de la Maison des écrivains étrangers
et je veux absolument continuer à m’en occuper parce que c’est passionnant. Et
c’est très lié à cela. Je passe mon temps à lire, à éditer et à inviter en
France des écrivains étrangers. Je pense bien aussi faire un livre polynésien,
on verra quand…
Yersin passe par Madagascar, un court instant dans
le livre…
En fait, c’est un moment assez intéressant dans sa
vie. Yersin, c’est l’exemple même du type qui très vite en a marre. Après Hong
Kong, on a l’impression qu’il fait ça pour faire plaisir aux pasteuriens et
qu’ils arrêtent de l’emmerder. Alors que c’est immense : il est le premier
homme à faire l’étiologie de la peste, qui n’est pas rien. Et, donc, à ce
moment-là, il ne rentre même pas en Europe, il envoie des bacilles dans des
fioles et il écrit même à Roux et à Calmette, c’est dans le livre : je
pense que vous arriverez bien à vous démerder avec ça. Il n’a pas du tout envie
de continuer et on l’envoie en mission à Madagascar où il va en traînant les
pieds. Il prétend que ça n’a pas d’intérêt, qu’il n’y a rien, que ce n’est
certainement pas de la fièvre bilieuse, etc. En fait, il détourne complètement
sa mission scientifique et bactériologique et il s’intéresse beaucoup plus, à
Madagascar, à l’agriculture et à l’arboriculture. En fait, il prépare sa
prochaine carrière…
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