mardi 4 septembre 2012

Marien Defalvard, hyperdoué et hors de son temps

L’étiquette lui collera longtemps à la peau : Marien Defalvard a été et restera le jeune premier de la rentrée littéraire 2011. Pas seulement parce qu’il avait dix-neuf ans. Ni même parce qu’il a commencé à écrire Du temps qu’on existait quand il en avait quinze – né en 1992, il date son texte d’octobre 2007 à octobre 2008. Car, avec ces caractéristiques, il entre seulement dans la catégorie des phénomènes que les éditeurs exhibent de temps à autre comme des animaux de cirque, et dont ils ont du mal à prolonger l’existence publique au-delà de quelques saisons. Parce que ces jeunes auteurs revendiquent généralement leur appartenance à leur génération, dont ils adoptent les codes, éphémères comme l’on sait. Tandis que Marien Defalvard tourne résolument le dos à son temps et raconte la vie d’un homme détaché du réel entre les années 1960 et 2009.
Et puis, et surtout, il travaille la langue en artisan soucieux du détail, à l’ancienne, a-t-on envie de dire, il cisèle chaque phrase, chaque paragraphe, comme s’il voulait marquer les esprits par un style au moins aussi présent, et peut-être plus, que son personnage.
Les premières lignes suffisent à décider si Du temps qu’on existait est un roman dans lequel il est possible de se sentir bien. L’autre possibilité consistant à avoir envie, aussi, vite, de le refermer. (Le test de la page 99 n’est pas nécessaire.) Essayons :
« Ça commence à Coucy. Coucy-le-Château-Auffrique. Dans l’Aisne, aux derniers renseignements, en Picardie. Donc, ça a commencé là-bas, dans la beauté de son écrin. Le ciel n’était pas roux, pas gris, pas noir, mais bleu, un grand bleu de fiançailles. Dix-sept heures, poussivement, venaient au pas ; les guérets, les bocages, la France qui était bien belle allait commencer la mastication du soleil et la lune, pointe de lumière écaillée, plus fine qu’un ongle, attendait son tour dans un coin, esseulée. J’avais le regard qui partait vers l’est, immobile que je me trouvais sur le chemin de ronde, un peu au-dessus du clocher. Devant moi, le paysage ne bougeait pas du tout ; les champs, les bois, les forêts, les prés, les villages, les collines, les plateaux s’empilaient, s’emboîtant et s’éloignant, et au loin, dans une douce pénombre, on devinait à force d’yeux les champs de patates, de betteraves et de haricots. »
Saisissant, quoi qu’on en pense. Pour notre part, l’admiration naît aussitôt, à peine tempérée par quelques pages où l’écrivain semble se regarder écrire plutôt que de suivre avec rigueur la logique de son roman. Péché véniel de jeunesse, qui ne gâche même pas le plaisir pris à découvrir une prose solidement ancrée dans le temps et les paysages. Ceux-ci forment les deux axes sur lesquels se déploient une rêverie anachronique et une sensibilité exacerbée.
Inutile de chercher ici une de ces intrigues dont d’autres livres font leur colonne vertébrale. Parfois si voyante qu’elle détourne l’attention de l’écriture. Voilà un reproche dont les lecteurs de Marien Defalvard peuvent faire l’économie, bien que le récit se boucle sur lui-même avec élégance. Du temps qu’on existait repose sur un équilibre aussi subtil qu’un mélange de fragrances quand il donne naissance à un parfum singulier.
Si singulier qu’il s’est murmuré, avant la parution de roman, qu’il était peut-être l’œuvre d’un écrivain chevronné. Depuis que Marien Defalvard s’est livré au rite de la promotion, notamment à la radio, le doute n’est plus permis : il est bien l’auteur d’un texte qui tranche résolument avec l’ensemble de la production littéraire contemporaine.

1 commentaire:

  1. Et la France navrée de sa beauté ensevelie sous dix-sept heures de fard solaire couleur de lin, seule et frileuse déjà.

    Et l’orange bleue du ciel mangée en coin d’œil sans fard.

    Et la lunule de l’ongle, lunaire comme un éclat de nacre

    Enfin tout ci, tout ça, quoi !

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