L’étiquette lui collera
longtemps à la peau : Marien Defalvard a été et restera le jeune premier de
la rentrée littéraire 2011. Pas seulement parce qu’il avait dix-neuf ans. Ni même
parce qu’il a commencé à écrire Du temps qu’on existait quand il en avait quinze – né en 1992, il date son texte d’octobre
2007 à octobre 2008. Car, avec ces caractéristiques, il entre seulement dans la
catégorie des phénomènes que les éditeurs exhibent de temps à autre comme des
animaux de cirque, et dont ils ont du mal à prolonger l’existence publique
au-delà de quelques saisons. Parce que ces jeunes auteurs revendiquent
généralement leur appartenance à leur génération, dont ils adoptent les codes,
éphémères comme l’on sait. Tandis que Marien Defalvard tourne résolument le dos
à son temps et raconte la vie d’un homme détaché du réel entre les années 1960
et 2009.
Et puis, et surtout, il
travaille la langue en artisan soucieux du détail, à l’ancienne, a-t-on envie
de dire, il cisèle chaque phrase, chaque paragraphe, comme s’il voulait marquer
les esprits par un style au moins aussi présent, et peut-être plus, que son
personnage.
Les premières lignes
suffisent à décider si Du temps qu’on
existait est un roman dans lequel il est possible de se sentir bien. L’autre
possibilité consistant à avoir envie, aussi, vite, de le refermer. (Le test de
la page 99 n’est pas nécessaire.) Essayons :
« Ça commence à Coucy. Coucy-le-Château-Auffrique.
Dans l’Aisne, aux derniers renseignements, en Picardie. Donc, ça a commencé
là-bas, dans la beauté de son écrin. Le ciel n’était pas roux, pas gris, pas noir,
mais bleu, un grand bleu de fiançailles. Dix-sept heures, poussivement,
venaient au pas ; les guérets, les bocages, la France qui était bien belle
allait commencer la mastication du soleil et la lune, pointe de lumière
écaillée, plus fine qu’un ongle, attendait son tour dans un coin, esseulée. J’avais
le regard qui partait vers l’est, immobile que je me trouvais sur le chemin de
ronde, un peu au-dessus du clocher. Devant moi, le paysage ne bougeait pas du
tout ; les champs, les bois, les forêts, les prés, les villages, les
collines, les plateaux s’empilaient, s’emboîtant et s’éloignant, et au loin,
dans une douce pénombre, on devinait à force d’yeux les champs de patates, de
betteraves et de haricots. »
Saisissant, quoi qu’on en
pense. Pour notre part, l’admiration naît aussitôt, à peine tempérée par
quelques pages où l’écrivain semble se regarder écrire plutôt que de suivre
avec rigueur la logique de son roman. Péché véniel de jeunesse, qui ne gâche
même pas le plaisir pris à découvrir une prose solidement ancrée dans le temps
et les paysages. Ceux-ci forment les deux axes sur lesquels se déploient une
rêverie anachronique et une sensibilité exacerbée.
Inutile de chercher ici
une de ces intrigues dont d’autres livres font leur colonne vertébrale. Parfois
si voyante qu’elle détourne l’attention de l’écriture. Voilà un reproche dont
les lecteurs de Marien Defalvard peuvent faire l’économie, bien que le récit se
boucle sur lui-même avec élégance. Du
temps qu’on existait repose sur un équilibre aussi subtil qu’un mélange de
fragrances quand il donne naissance à un parfum singulier.
Si singulier qu’il s’est murmuré, avant la
parution de roman, qu’il était peut-être l’œuvre d’un écrivain chevronné.
Depuis que Marien Defalvard s’est livré au rite de la promotion, notamment à la
radio, le doute n’est plus permis : il est bien l’auteur d’un texte qui
tranche résolument avec l’ensemble de la production littéraire contemporaine.
Et la France navrée de sa beauté ensevelie sous dix-sept heures de fard solaire couleur de lin, seule et frileuse déjà.
RépondreSupprimerEt l’orange bleue du ciel mangée en coin d’œil sans fard.
Et la lunule de l’ongle, lunaire comme un éclat de nacre
Enfin tout ci, tout ça, quoi !