Depuis Les corrections, son troisième roman paru en 2001, Jonathan Franzen
a pris place parmi les écrivains américains les plus en vue. Lauréat du National Book Award et nommé pour de
nombreux autres prix littéraires, encensé par la critique et plébiscité par les
lecteurs, il recueillait ainsi les fruits de sa réflexion sur l’écriture. « Je ne pense pas qu’il y ait quelque
chose de mal à être lisible », aime-t-il à dire maintenant. En effet,
comme Freedom, Les corrections est un livre qui ne présente, au moins en
apparence, aucune difficulté de lecture. Le style est limpide, les personnages
développent leurs singularités au fil du temps qu’il est nécessaire d’y mettre.
Seule la structure du récit présente quelques caractéristiques plus complexes,
rompant avec la linéarité classique. Mais le cinéma a depuis longtemps habitué
les spectateurs, qui sont parfois aussi des lecteurs, à cette gymnastique de
l’esprit.
En 2010, la couverture du
magazine Time présentant Jonathan
Franzen comme le « grand romancier américain » a frappé les esprits.
D’autant que pas un écrivain n’avait occupé cette place depuis Stephen King, en
2000. Il s’agissait pourtant d’une reconnaissance ambiguë : Franzen
lui-même estime que la place de plus en plus réduite accordée à la littérature
en couverture de l’hebdomadaire témoigne du déclin culturel des Etats-Unis.
D’autant que les choix semblent effectués davantage en fonction du succès
public que de la qualité. Avant Stephen King, Scott Turow et Michael Crichton
avaient eu les honneurs du Time dans
les années nonante. En compagnie, il est vrai, de Toni Morrison et Tom Wolfe.
Populaires et exigeants, comme Jonathan Franzen.
C’est presque une manie aux
Etats-Unis : comme les écrivains rêvent d’écrire « le grand roman
américain » qui engloberait toutes les facettes d’un pays complexe, les
commentateurs rêvent de désigner, en temps réel, « le grand écrivain
américain ». La palme, toute théorique, se disputerait aujourd’hui entre
Philip Roth, Don DeLillo, Corman McCarthy, Bret Easton Ellis ou Jonathan
Franzen. Le temps réel n’étant pas le meilleur moment pour faire le tri,
l’avenir s’en chargera. Comme il a placé dans le Panthéon littéraire de leur
époque William Faulkner, Ernest Hemingway, John Dos Passos ou John Updike.
Entre autres.
Pour en finir avec la manière
dont Jonathan Franzen fait face au succès, il est intéressant de relever
comment il a réagi devant sa double sélection au club du livre d’Oprah Winfrey.
La première fois, en 2001, elle avait retenu Les corrections et invité l’auteur à son émission de télévision,
formidable accélérateur des ventes. Mais Jonathan Franzen, se confiant à un
journaliste, se demandait si la présence de son roman dans les choix de ce club
ne risquait pas de le couper du public masculin. Devant ses réticences, Oprah
Winfrey l’enleva de sa liste. Peu rancunière (ou désireuse de faire un joli
coup), elle l’a réinvité en 2010 pour Freedom.
L’auteur, reçu entretemps par Barack Obama, n’avait cette fois aucun argument à
opposer à sa présence sur le plateau. Et, à l’animatrice qui lui disait : « C’est un honneur de vous avoir parmi
nous », il répondit simplement : « C’est un honneur d’être ici. »
Pour avoir fait une partie de
ses études en Allemagne, cet Américain né en 1949 a pu traduire, entre ses deux
principaux romans, une pièce de Frank Wedekind, en même temps qu’il écrivait un
essai et des mémoires. Auparavant, il avait publié en 1988 La vingt-septième ville et, quatre ans plus tard, Strong motion (non traduit en français),
des romans influencés par les recherches formelles de l’époque. Il s’en est en
partie détaché ensuite. Et, s’il cite volontiers des écrivains contemporains,
au premier rang desquels David Foster Wallace qui était son ami, les noms de
Balzac ou de Tolstoï reviennent souvent dans ses propos de la dernière
décennie.
De la littérature
européenne du dix-neuvième siècle, il a gardé l’ampleur et le goût
d’approfondir le caractère de ses personnages. La modernité du siècle suivant
lui permet en même temps d’écarter toute naïveté de ses livres, et de leur
donner la force qu’on connaît.
Jonathan Franzen embrasse
large dans Freedom. Le titre, déjà,
l’autorise à envisager les différentes manières dont chacun use (ou abuse) de
sa liberté, comment on l’acquiert ou on la perd, quels chemins elle conduit à
prendre selon l’idée que l’on s’en fait. Nous sommes après le 11 septembre
2001, l’administration Bush a embarqué les Etats-Unis dans la lutte contre
l’axe du mal, à l’aide de quelques mensonges assénés comme des vérités. Sous
les applaudissements d’une partie de la population. Et les ricanements d’une
autre.
Freedom, bien que son auteur
se défende d’y délivrer un message, est un livre politique, au meilleur sens du
mot. Dans le contexte d’une union nationale sollicitée pour la défense de la
patrie, il introduit d’autres combats, menés par Walter Berglund et par
Lalitha, son assistante. Le premier, convaincu depuis ses études universitaires
de la nécessité de limiter les naissances pour lutter contre les grandes
crises, embrasse la cause écologique et cherche à préserver la paruline, une
espèce d’oiseau menacée. Il gagne le soutien d’un grand industriel qui investit
dans le projet, non sans quelques arrière-pensées que Walter préfère ne pas
voir. Tandis que, dans le même temps, il reproche à son fils de profiter de la
guerre d’Irak pour faire fortune précocement. Les ambiguïtés et les
contradictions se multiplient à tous les étages.
Et aussi dans la vie
privée des personnages, car Freedom
n’est pas seulement politique. Une partie importante du volume est occupée par
l’autobiographie de Patty Berglund, l’épouse de Walter. Elle l’intitule « Des erreurs furent commises ».
En effet. Par elle-même, d’abord. Elle ne s’est rapprochée de Walter qu’en
raison de son amitié avec Richard, un rocker dont elle était tombée amoureuse.
Et avec lequel elle n’en aura, d’une certaine manière, jamais fini. En
porte-à-faux par rapport à sa vie, elle a, elle aussi, embarqué sa famille dans
des mensonges et dans une forme de guerre. Qui, peut-être, prendra fin un jour.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire