Comme un artiste, il doit choisir un pseudo. Comme Maryse, prendre
une voix d’hôtesse. Comme tout le monde, suivre les indications que lui fournit
son écran, poser les bonnes questions, décrocher de nouveaux contrats, passer
d’un client à l’autre sans perdre de temps. Il est nouveau sur le plateau où il
vient d’être engagé. Il n’est pas habitué aux mots, jusque-là il s’occupait de
câblage et d’électricité. Mais, le marché du travail étant ce qu’il est, il est
devenu Éric dans le centre d’appel d’une grosse boîte de télécoms. Un casque
sur les oreilles, un micro devant la bouche, un écran devant les yeux, la
souris dans la main droite, l’esprit en éveil ou au loin, selon son degré de
concentration.
Dans Retour aux mots sauvages, Thierry Beinstingel investit le travail à la chaîne, façon
nouvelles technologies. Les outils ont changé. Les objectifs, pas du
tout : la rentabilité reste la première préoccupation. Et le rythme doit
être tenu sans relâchement. Au
suivant ! chantait Jacques Brel, dans un tout autre contexte il est
vrai…
Les journées d’Éric sont monotones et hachées. Le romancier
épouse un tempo dont son personnage ne s’évade que par la course à pied, où
l’essoufflement guette aussi, mais au moins celui-ci est-il librement choisi. Éric sort aussi du cadre en prenant lui-même contact avec un client dont il
tente de régler le problème. Jamais d’implication personnelle, lui avait-on
pourtant dit.
Sous pression, les employés stressent, parfois dépriment. Et certains se
suicident, dans ce qui semble une véritable épidémie. C’est le Retour aux mots sauvages, quand la
violence sournoise faite aux hommes (et aux femmes) débouche sur des réactions
désespérées. Thierry Beinstingel lutte contre le poids des jours, le choc des
formules dont la répétition blesse aussi sûrement qu’un coup de gueule.
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