Le prix littéraire Lucien Barrière n'est pas une des grandes récompenses de la saison en cours, mais il n'est pas sans intérêt - en tout cas cette année, car j'avoue n'en pas connaître le palmarès (ni avoir le courage, à cette tardive pour moi, de le chercher pour le consulter). Particularité: il est attribué lors du Festival du cinéma américain de Deauville. Et le jury, présidé cette année par Frédéric Beigbeder (souvent meilleur lecteur qu'écrivain) a choisi un excellent roman de Percival Everett, Pas Sidney Poitier.
L’humour et l’intelligence sont chez Percival Everett les
ingrédients de base d’un cocktail redoutable. Son sixième roman traduit en
français joue dès le titre sur les ambiguïtés et les paradoxes. Pas Sidney Poitier, c’est en effet le
nom complet du personnage principal, héritage d’une mère excentrique qui mit
son fils au monde après deux ans d’une grossesse en partie nerveuse dont
personne n’attendait qu’elle débouche sur une naissance. Folle à lier, selon
Pas Sidney lui-même, mais loin d’être idiote, elle a investi en 1970 dans une
société peu connue, la Turner Communications, dirigée par Ted Turner. Celui-ci,
impressionné par le sens des affaires d’une femme dont il adore les brownies et
qui représente son rêve de toucher le peuple par les médias, emmène Pas Sidney
vivre à Atlanta, près de lui, à la mort de sa mère. Le garçon a sept ans, il
est à la tête d’une richesse colossale et obscène. Quand il décidera d’entrer à
l’université, ce sera d’ailleurs grâce à un don important et non grâce à ses
bonnes dispositions. Là, il suivra les étranges cours d’un certain Percival
Everett.
Pas Sidney Poitier, Ted Turner (et Jane Fonda), Percival
Everett… Aucun n’est exactement la personne réelle qui porte ce nom, et
l’écrivain prend la peine de le préciser : « Les personnages de ce roman sont parfaitement fictifs […]. Ceci
vaut aussi pour le personnage qui porte le nom de l’auteur. »
Dommage : un professeur aussi décalé, qui fait basculer certains épisodes
du roman dans l’absurde le plus réjouissant, mériterait d’exister.
Le nom du héros lui pose, évidemment, quelques problèmes. « Vous vous appelez pas Sidney Poitier,
hein ? », lui dira-t-on plusieurs fois. Les bons phonèmes, avec
une autre interprétation qui le plonge dans d’intenses réflexions. D’autant
qu’il ressemble de plus en plus à l’acteur, jusqu’à se confondre avec lui dans
la scène finale.
Autre problème, partiellement compensé par sa fortune :
sa couleur de peau. Pas parce qu’il est noir, mais parce qu’il est très noir. Sa petite amie Maggie, quand
elle le présente à ses parents, lui fait découvrir une hiérarchie subtile et
perverse à laquelle il n’avait jamais prêté attention et qu’il se surprend à
examiner avec attention. Son bref séjour chez les Larkin, interrompu
brutalement quand il n’en peut plus de la situation incongrue dans laquelle il
se trouve, constitue un autre chapitre savoureux, aux détails piquants.
En fait, Pas Sidney n’est à sa place nulle part. On l’arrête parce qu’il
est noir. Sur un coup de tête, il offre à des religieuses de financer la
construction d’une église, mais l’argent qu’il a retiré d’une banque suscite de
dangereuses convoitises. Seuls Ted Turner (qui l’appelle Pou-ah) et Percival
Everett lui seront fidèles jusqu’au bout. Peut-être pour de mauvaises raisons,
mais peu importe. Le parcours du héros, qui revisite au passage quelques scènes
de films célèbres, est de ceux dont on attend de plus en plus au fur et à
mesure qu’il se heurte aux bizarreries de l’existence. On n’est pas déçu.
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