Martine Desjardins avait publié son premier roman au Québec et personne ne le savait en France. A l'heure de la mondialisation, il a quand même fallu un peu de temps pour que son livre nous arrive. Il valait la peine d'attendre (on aurait quand même été content de le découvrir plus vite): l'atmosphère étrange et sombre de Maleficium fournit au lecteur des sensations inhabituelles. Il est embarqué dans un piège en compagnie de sept hommes - et d'une femme, clé de voûte d'un édifice construit avec soin.
Le Québec est encore très loin de la France :
Maleficium y est paru il y a trois
ans déjà, et a même été entretemps publié en anglais. Comment expliquez-vous
qu’un éditeur parisien se soit intéressé seulement maintenant à votre
roman ?
La distance géographique complique encore un peu
les échanges entre éditeurs et ce, malgré la rapidité des communications
électroniques. Néanmoins, ces échanges se multiplient et on commence à en voir
les fruits – ce qui sera sûrement bénéfique pour la littérature (et les lecteurs)
des deux côtés d’Atlantique.
L’avertissement signé par « l’Éditeur »,
mais qui est à l’évidence de vous, installe une étrange relation entre le
lecteur et le texte qu’il s’apprête à découvrir. Ce lecteur, écrivez-vous, « s’expose non seulement à la souillure
de ces confessions immorales, mais au risque d’encourir
l’excommunication. » Est-ce une manière d’utiliser le goût de la
transgression qui sommeille en chacun de nous pour donner envie d’aller plus
loin ?
En brandissant cette menace d’excommunication
anachronique, et donc assez risible, je voulais souligner le peu de respect
qu’on accorde aujourd’hui à la confidentialité. Les péchés (je parle ici de
petits péchés véniels, pas d’actes criminels) étaient autrefois du domaine
privé, réservés au secret du confessionnal, protégés par le sceau du silence.
Ils sont aujourd’hui étalés à la une des journaux, discutés dans les médias et jugés
sur les réseaux sociaux. Nous avons développé une curiosité malsaine pour le
scandale, un appétit insatiable pour les potins, les ragots et la médisance. Nous
condamnons très vite, en accordant rarement le pardon, ce qui fait de nous, en
somme, l’équivalent moderne des inquisiteurs dans les procès en sorcellerie.
Au début, on peut croire qu’il s’agit d’un recueil
de nouvelles plutôt que d’un roman. Puis des éléments communs se mettent en
place, des échos circulent d’un chapitre à l’autre, et la cohérence de
l’ensemble se renforce jusqu’à la fin. Est-ce une « mécanique » que
vous avez consciemment installée ?
Dès le départ, j’avais l’intention de construire
un roman à partir d’une série de récits fantastiques qui pourraient aussi se
lire indépendamment. Leur cohésion apparaît plus clairement si l’on considère
l’ensemble de Maleficium comme le procès d’une femme accusée d’avoir
ensorcelé sept hommes – à cette différence près que le juge ici est un prêtre,
et que les témoignages successifs se font sous forme de confessions. La
relation entre les différents personnages et leurs véritables motivations ne
sont révélées qu’à la toute fin, lorsque l’accusée entre à son tour dans le
confessionnal et raconte sa propre version des faits.
D’où vous est venue l’envie de raconter cette
histoire singulière ? Vous êtes-vous nourrie d’autres lectures ?
J’ai une affection particulière pour les
curiosités littéraires et c’est ce que je tente de créer, dans la mesure du
possible. Cette fois, j’avais envie de rendre hommage aux Diaboliques
de Barbey d’Aurevilly, en écrivant un roman fastueux, opulent, baroque, teinté
d’exotisme, légèrement décadent. Je l’ai fait à ma façon, en projetant mes
terreurs et mes obsessions dans une zone trouble de l’imaginaire qui se situe juste
à la frontière du possible et de l’impossible, et que j’appelle l’improbable.
Et à propos des lieux où se passe le roman, on
aimerait aussi savoir pourquoi vous les avez choisis.
J’ai développé au cours des années une telle phobie
des déplacements que je ne m’éloigne presque plus de chez moi. Le goût du voyage,
cependant, est resté intact en moi et je crois que c’est de sa frustration que
m’est venu le besoin de situer le roman dans des lieux distants comme Srinagar,
Zanzibar, Chiraz ou Oman. Je les ai choisis d’abord parce que je rêve de les
visiter, mais aussi pour ce qu’on y trouve : des épices, de l’encens, des
tapis et autres objets rares et précieux susceptibles d’attiser la convoitise
de mes personnages et de les induire en tentation.
Enfin, on pense à Umberto Eco qui, sur le ton de
la plaisanterie, dit souvent qu’il espérait décourager ses lecteurs en
utilisant du latin dans Le nom de la rose
ou de l’hébreu dans Le pendule de
Foucault. Y avez-vous pensé aussi ?
Le latin est pour moi une langue caméléon, qui
peut aussi bien évoquer, selon le contexte, la science ou la magie, le divin ou
le satanique. Dans Maleficium, il fait écho au Malleus Maleficarum (fameux traité médiéval de chasse aux
sorcières) et rappelle combien on a facilement tendance à diaboliser ce qui
nous est étranger. C’est un des nombreux artifices que j’ai utilisés pour mieux
dépayser le lecteur – et le maléficier un peu.
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