Je pensais parler de Roger Nimier demain, pour le cinquantième anniversaire de sa mort. Je m'y étais remis un peu, parce qu'il y avait longtemps que je ne m'étais plus frotté à cette écriture aiguë. Et puis, j'apprends à l'instant que le prix qui porte son nom ira, demain aussi, à un livre que j'ai beaucoup aimé quand il est paru au début de l'année, Le gouverneur d'Antipodia, de Jean-Luc Coatalem. Alors, voici, tout de suite.
Où situer
Antipodia ? « Nulle part ou
autre part », répondrait Albert Paulmier de Franville, gouverneur de
l’île. Une île ? « Un rocher
parmi les vagues. Un cratère effondré. » Supposons, pour les lecteurs
soucieux de géographie, que nous sommes, comme l’explique le gouverneur, à
l’est de l’archipel Crozet, sur une île découverte en 1772 par Marc-Joseph
Marion-Dufresne et située approximativement sur la même longitude que les
Kerguelen. C’est-à-dire assez loin vers le sud pour « bénéficier »
d’un climat assez rude, de vents violents et d’une mer souvent grosse.
Pour plus de détails,
imaginaires ou non, demandez à Jean-Luc Coatalem, grand voyageur et écrivain
puisant son inspiration un peu partout dans le monde. Il en fournit
d’abondance, histoire de rendre le lieu crédible.
Le gouverneur exerce son
pouvoir sur un territoire ridicule. S’il est arrivé là, ce n’est bien entendu
pas pour récompenser de bons et loyaux services mais plutôt pour l’éloigner du
scandale provoqué par ses égarements. La population de l’île est exclusivement
composée du « personnel technique » : le seul Jodic, en poste
depuis presque quatre ans. Il est un peu le Vendredi du Robinson que représente
le gouverneur. Aux deux hommes, il faut ajouter la faune marine, les oiseaux et
les chèvres. Très importantes, les chèvres : leur troupeau, stratégique,
est destiné à nourrir les éventuels rescapés d’un naufrage. On les compte et
les recompte avec un grand sérieux approximatif. Car elles bougent et Jodic est
devenu chasseur – à l’arc, pour rester silencieux.
La plupart du temps, les
deux habitants d’Antipodia s’ennuient ferme. Jodic s’évade grâce à une herbe
dont il a découvert les vertus hallucinogènes. Le gouverneur fait mine d’être
celui dont tout dépend. Sa devise pourrait être cette phrase de Jean Cocteau :
« Puisque ces choses nous dépassent,
feignons d’en être les organisateurs. » Jusqu’au moment où même
l’imitation du pouvoir dépasse son énergie en voie d’extinction. La solitude,
même à deux, déborde les digues qui maintenaient encore Jodic et le gouverneur
dans l’apparence de la civilisation – dont ils sont, à leur pauvre manière, les
représentants. Mais ils n’ont pas de témoins pour leur donner l’impression que
cela sert à quelque chose.
Aussi, quand Moïse, le
bien nommé puisqu’il est sauvé des eaux, débarque sur la terre d’Antipodia, il
n’est pour ses résidants qu’un intrus, et non un être humain à sauver. Les
personnages principaux sont bousculés, plus que par les événements, par
l’absence d’événements, usés par celle-ci et devenus incapable de réagir encore
selon les règles qu’ils devraient respecter et faire respecter.
Jean-Luc Coatelem a réussi une saisissante
réécriture d’un Robinson Crusoé influencé par la littérature contemporaine.
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