Elle était mal partie depuis le début, ou presque, cette exposition Albert Camus à laquelle la ville d'Aix pensait depuis 2009, pour 2013 et le centenaire de la naissance de l'écrivain. Associée en principe à l'événement Marseille-Provence 2013, elle devait en être un des temps forts. Et Benjamin Stora, historien spécialiste de la guerre d'Algérie, avait été chargé d'un projet qu'il avait intitulé Albert Camus, l'étranger qui nous ressemble. C'était loin de satisfaire une partie au moins de la communauté des pieds-noirs. Hier après-midi, dans Le Monde, Jean-François Collin, président d'une association d'aide aux anciens détenus de l'Algérie française - c'est-à-dire principalement, expliquait la signataire de l'article, Catherine Simon, «aux partisans de l'OAS, emprisonnés après la tentative de putsch en Algérie, en 1958» - avait encore des mots très durs contre Benjamin Stora, «cet Israélite de Constantine [...] qui soutient les thèses du FLN».
Après un certain nombre de bâtons jetés entre les jambes de Benjamin Stora, Michel Onfray, vedette médiatique de la philosophie et auteur d'un ouvrage à succès sur Albert Camus (L'ordre libertaire: la vie philosophique d'Albert Camus, paru en janvier), avait officiellement remplacé le commissaire initialement annoncé, après un chassé-croisé d'informations lancées de manière pas toujours élégante.
Cette semaine encore, Michel Onfray revenait sur le sujet dans un article donné au Nouvel Observateur. Il était condamné, disait-il, à être celui qui allait collaborer avec une mairie d'extrême-droite et son exposition «sera obligatoirement toute à la gloire de l'Algérie française célébrée par les gros colons, les terroristes de l'OAS, les pieds-noirs confits de ressentiment! Logique du tribunal révolutionnaire: accusation publique, condamnation systématique. On ne m'a pas entendu, mais j'ai déjà la tête coupée...»
En début de dernier paragraphe, il écrivait: «Je demande à être jugé sur pièces - cette exposition en fournira l'occasion.»
Finalement, non. Hier soir, Michel Onfray publiait, sur son compte Twitter, ce message: «Michel Onfray ne signera pas la Convention qui aurait fait de lui le Commissaire de l'expo camus à Aix en 2013.»
Parlant de lui à la troisième personne, il annonçait donc qu'il avait jeté l'éponge. Encore une victime d'un lynchage, comme pourrait l'écrire Valeurs actuelles (qui consacrait la semaine dernière un dossier à l'affaire Richard Millet et à quelques sujets connexes)? Nul doute qu'il sera question de cette thèse, et Michel Onfray risque de n'être pas le dernier à la défendre, serait-ce souterrainement. Ce n'est pas jeter l’opprobre sur son œuvre personnelle que de se dire parfois irrité par ses poses de victime...
Il y avait, toujours dans Le Monde d'hier après-midi, une réflexion sage et intelligente d'Agnès Spiquel, présidente de la Société des études camusiennes: «On ne manquait pas de vrais connaisseurs qui, dans une ombre relative, servent fidèlement Camus depuis des années et auraient conçu un projet plein de solidité et de justesse. Un de ceux-ci avait d'ailleurs été contacté - sa modestie m'interdit de donner son nom -, mais il n'a pas été retenu. La France a le culte des "vedettes"...»
C'est peut-être bien le vrai problème: Michel Onfray (ou même Benjamin Stora) n'ont-ils pas assez d'autres activités pour qu'on se sente contraint, leur statut aidant, de leur donner aussi la charge d'une exposition Albert Camus?
Qu'en aurait pensé celui-ci? On n'en sait rien, bien entendu. Mais, si on le relisait, on trouverait dans son œuvre des pages que l'on pourrait méditer à nouveau. Ceci, par exemple, bien plus important que toutes les polémiques:
Ne pas se séparer du monde. On ne rate pas sa vie lorsqu'on la met dans la lumière. Tout mon effort, dans toutes les positions, les malheurs, les désillusions, c'est de retrouver les contacts. Et même dans cette tristesse en moi quel désir d'aimer et quelle ivresse à la seule vue d'une colline dans l'air du soir.P.S. Pour être complet, j'ajoute un lien vers un texte bref dans lequel Michel Onfray explique pourquoi il renonce à son projet: Exposition Camus: "la nef des fous".
Contacts avec le vrai, la nature d'abord, et puis l'art de ceux qui ont compris, et mon art si j'en suis capable. Sinon, la lumière et l'eau et l'ivresse sont encore devant moi, et les lèvres humides du désir.
Désespoir souriant. Sans issue, mais exerçant sans cesse une domination qu'on sait vaine. L'essentiel: ne pas se perdre, et ne pas perdre ce qui, de soi, dort dans le monde.
(Carnets I: Mai 1935-février 1942)
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