La Foire du Livre de Bruxelles, depuis sa création en 1969, s'est implantée à différents endroits. Cette nomadisation, choisie ou imposée par les circonstances, dessine une géographie sentimentale puisque chaque lieu est lié à des souvenirs parfois vivaces - d'autres sont plus flous. Je ne dirai rien, par exemple, des tout débuts. Je n'y étais pas, probablement parce que j'ignorais l'existence de cette manifestation.
L'histoire commence pour moi, et pendant des années, au Centre Rogier, aujourd'hui rasé. Je m'y suis rendu souvent, d'abord adolescent, pour voir la tête de Pierre Pelot ou collectionner des catalogues dans lesquels je me plongeais, de retour chez moi (ou plus probablement dès le voyage en train qui m'y ramenait), avec ravissement et inquiétude: je ne doutais pas d'avoir le temps de lire tous ces livres dont l'existence me faisait saliver (j'étais jeune, est-ce une excuse?), mais je me demandais comment je pourrais en acheter quelques-uns seulement puisque je n'avais pas d'argent. Et comment convaincre une bibliothèque de se procurer ceux qui, parmi eux, suscitaient chez moi la plus grande urgence?
Les choses se sont progressivement améliorées. Quand j'ai commencé à travailler, c'était dans une bibliothèque. Je ramenais toujours des catalogues mais avec, à ce moment, les moyens concrets de commander certains titres que j'avais repérés dans les stands d'éditeurs. A la même époque, un concours de la radio publique belge que je n'ai pas gagné, mais presque, m'a conduit dans les studios avec régularité pour participer à une émission littéraire. La gloire... (Hum!)
Centre Rogier toujours, les images se bousculent. Les escaliers roulants qu'il fallait arrêter pour éviter une bousculade dans la foule trop nombreuse pour l'endroit. Le temps où, travaillant chez un éditeur, je passais les journées à rassurer les auteurs, et non des moindres, dont l'oeuvre complète n'était pas bien visible sur les présentoirs. Le jour où j'ai croisé Jean-Jacques Brochier, rédacteur en chef du Magazine littéraire, pour lui proposer un entretien avec Le Clézio que j'avais rencontré pour Le Soir. Le même Le Clézio, un peu effaré devant le monde qui se pressait autour de lui, comme si le toucher pouvait guérir des écrouelles, exfiltré par mes soins en franchissant une porte de service. François Weyergans, lauréat d'un prix dont le montant nous a servi à faire la fête toute la nuit. Quelques alertes d'incendie, et tout le monde réfugié dans les bars glauques du quartier. Une manifestation de métallos réprimée par les gaz lacrymogènes qui montaient jusqu'au dernier étage... Et les livres, bien sûr, les livres.
Il y eut le prestigieux Palais des Congrès. Prestigieux en apparence, situé à deux pas de la Grand-Place, mais pas du tout conçu pour ce genre d'événement. C'est là que je me suis pris le nez avec Nicolas Hulot lors d'une émission de radio. Et où j'ai fait bien d'autres rencontres plus sereines.
Il y a eu pire comme endroit, peut-être pour se rapprocher du mythique Centre Rogier - mais il n'y avait plus alors, comme espace disponibles, que des parkings où on se marchait sur les pieds, où le ronronnement des extracteurs d'air empêchait, dans certains coins (il y avait beaucoup de coins et de recoins), de se parler.
La Foire du Livre se l'est aussi jouée façon Porte de Versailles, dans un Palais d'Exposition du plateau du Heysel - où Jonathan Coe vient de nous ramener par la fiction, le temps d'une Expo 58 dont on parlera beaucoup cette année, puisqu'il est invité d'honneur de l'édition 2014. Il y avait de la place, on respirait, mais il fallait se rendre au bout de la ville (pas moi: j'habitais à quelques centaines de mètres) et il fallut bien conclure, après quelques années maigres, qu'on était sorti de la carte que les lecteurs et les amoureux du livre avaient l'habitude d'arpenter.
Ce fut donc, pour conclure (provisoirement), Tour & Taxis, où l'on se retrouve demain (enfin, pas moi, je suis à quelques milliers de kilomètres), et où j'ai eu le bonheur d'animer un débat avec Scholastique Mukasonga à une époque où l'on ne parlait pas encore de Prix Renaudot pour elle. En 2007 (la même année), j'ai aussi tenu, pendant les quelques jours de la Foire, un blog éphémère mais toujours visible, pour fournir quelques impressions à chaud. Sept ans plus tard, c'est ici (et d'ici) que je vous donnerai quelques nouvelles de la Foire du Livre de Bruxelles, ou plutôt de livres dont les auteurs seront de passage entre le 20 et le 24.
C'est déjà demain.
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