Vingt-trois ans :
c’est le temps depuis lequel Alain Mabanckou n’était pas retourné à
Pointe-Noire où il a passé son enfance et sa jeunesse. Il habite, pour ce
séjour, à l’Institut français, dont les Ponténégrins, ainsi que s’appellent ses
habitants, gardent le souvenir du temps où il était le Centre culturel français
(on en connaît d’autres qui continuent à ne pas se faire au nouveau nom de son
équivalent, plus près de nous). Et il écrit sur ces retrouvailles complexes,
sur la collision parfois brutale entre les images du passé et celles du
présent.
Le cinéma Rex, où il
allait comme tout le monde s’extasier devant les aventures de Bud Spencer et
Terence Hill, est devenu une église pentecôtiste qui témoigne de la
prolifération des sectes. Peu accueillante, la Nouvelle Jérusalem : il
n’est pas autorisé à y entrer avec sa compagne qui prend les photos illustrant Lumières de Pointe-Noire. Il faudra
l’intervention du propriétaire du bâtiment pour qu’ils y pénètrent. Le cinéma
est mort, les « libraires par terre » aussi, qui proposaient quelques
ouvrages aux spectateurs sortant de la salle. Surprise : le titre le plus
demandé était un livre de Guy des Cars, Sang
d’Afrique, surtout à cause du titre, peut-on supposer (et même espérer).
Mabanckou qui, à la même époque, écumait la bibliothèque du Centre culturel en
lisant les romanciers dans l’ordre alphabétique, constatera en France que
l’auteur de ce livre est sous-estimé : « Cela
n’effaça pas pour autant l’admiration que je vouais à celui qui, certainement,
avait donné le goût de la lecture à toute une génération de Ponténégrins, voire
d’Africains francophones. » Par quels détours ne faut-il pas passer
pour former un écrivain…
Le plus aigu, parfois le
plus douloureux aussi, dans ce retour touche à la famille. Sa mère est morte
depuis longtemps, même s’il a longtemps laissé croire autour de lui qu’elle
vivait encore. Certains se disputent la parcelle sur laquelle s’élève encore,
dans un état précaire, la maison en bois où il a grandi avec elle et son père
adoptif. D’autres, voyant en lui l’Africain qui a réussi, lui réclament de
l’argent comme un dû… Sentiments mélangés où l’émotion et l’exaspération se
confondent parfois.
Lauréat du Prix Renaudot en 2006, Alain
Mabanckou est devenu un « incontournable » de la littérature écrite
en français. Son œuvre a été couronnée, dans son ensemble, par l’Académie
française en 2012, puis par la Principauté de Monaco l’année dernière, au
moment où il venait d’être nommé président de la Foire du Livre de
Brive-la-Gaillarde. Cette année, il préside le jury du Prix du Livre Inter. On
ne peut décidément plus se passer de lui. Et c’est très bien ainsi.
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